Le cercle des sorcières de la Lune

Découvrez l'histoire d'Éléanor, jeune fille au temps du roi Arthur.

Partez à la découverte de son extraordinaire destin, entre magie, secrets et courage. Suivez ses combats face à la magie noire et son désir de faire triompher le bien, l'amour et l'amitié.

N'hésitez pas à revenir régulièrement pour suivre les aventures d'Éléanor! 

NB : l'histoire est en constante évolution car mon imagination n'a pas de limite...

Prologue

« La magie ne meurt jamais, le souffle éternel du dragon veille sur nous et chaque être a en lui la force d'être plus grand. Par le pouvoir de ma volonté, des formules sont ici conservées, dont leurs pouvoirs secrets dans ce grimoire sont protégés. Tandis que la cire scelle ce sort, sachez que contre tout torts, le sceau ici apposé garde les vertus de ce qui a été enfermé ». Les mots magiques ainsi prononcés, la grande sorcière regarda ses consœurs. Elle pourrait confier sa vie à chacune d’entre elles. Des sœurs si semblables et pourtant si différentes mais unies dans cette même volonté de faire le bien. Le silence d’après rituel fut rompu par Dypna. C’était une sorcière très belle et très puissante.

« Eabha, est-ce vrai ce qu’on raconte ? »

 « Que raconte-t-on ? »

 « On dit qu’une prophétie va voir arriver une sorcière plus puissante que les autres. Est-ce vrai ? »

 Eabha fronça les sourcils mais ne laissa rien paraître de sa surprise.

 « Où en as-tu entendu parler de cela ? »

 « Il est toujours intéressant de se mêler aux autres clans des sorcières, Eabha. Alors est-ce vrai ? »

 « Il se pourrait qu’une telle prophétie existe mais vous n’êtes pas sans savoir que les prophéties ne se réalisent que si l’on y croit » répondit la grande sorcière en s’adressant à toutes ses consœurs.

 « Connais-tu la prophétie exacte, Eabha ? »

 « Non, Dypna »

 « Vraiment ? » demanda Dypna avec méfiance. « Ne nous caches tu pas cette vérité, comme d’autres enseignements que tu t’obstines à garder pour toi. »

 « Je vous enseigne tout ce que je sais, tu le sais bien. Mon seul désir est de faire le bien, d’utiliser mon don pour soulager les maux de ce monde, je ne cherche pas à être plus puissante que les autres »

 « Nous pourrions faire plus. Si la prophétie est vraie, pourquoi ne pas la prendre au sérieux ? La puissance et la grandeur, n’est-ce pas là ce que nous cherchons toutes ? »

 « Nous en avons déjà parlé, Dypna, tu as prêté serment auprès de la Lune de faire le bien » répondit Eanna. C’était une jeune sorcière généreuse et bienveillante.

 « Peut-être n’en ai-je plus envie ? » rétorqua Dypna.

 « Veux-tu rompre ton serment ? Si tu souhaites quitter le cercle, nous ne nous opposerons pas à ta décision mais tu ne pourras plus bénéficier de nos savoirs, es-tu prête à cela ? »

 « Je crois qu’il est temps de suivre ma propre voix, Eabha. Je veux plus, je sais que je peux faire plus ».

 « Est-ce là ce que tu souhaites vraiment ? »

 « Oui, je sens que je peux apporter beaucoup au monde. Tes enseignements ont été précieux mais je dois construire les miens, tu comprends ? »

 « Je le sentais, je savais que tu aurais envie de suivre ta propre destinée. Je veux juste te mettre en garde : fais le bien autour de toi, c’est ainsi que tu deviendras une grande sorcière, bien loin de la prophétie ».

 « Je ferais ce qui me semblera le mieux pour moi ».

 « Mes sœurs, acceptez-vous le départ de notre sœur Dypna ? «  demanda Eabha.

 Toutes hochèrent la tête mais Eanna s’obstina.

 « Dypna, ton cœur est bon, ne t’en va pas » lui implora-t-elle.

 « Cette vie te convient, moi, elle ne me satisfait plus ».

 « Très bien. Nous allons passer au rituel de séparation mes sœurs ».

 Eabha invita ses consœurs à prendre place autour d’un pentacle dédié à la Lune dans lequel Dypna prit place. Les douze sorcières récitèrent leur prière pour séparer leurs pouvoirs de leur treizième sœur.

 « Toi, Lune, déesse de la nuit, entend ma prière. Toi, Lune, alliée des rêves, entend ma requête. Notre sœur, Dypna, ne ressent plus ton aura, délivre-la de ton pouvoir, délivre-la de son serment, accorde-lui de vivre selon ses propres sentiments ».

Comme une réponse à leur prière, un éclair déchira le ciel. La pierre de lune de Dypna se brisa, dernier réceptacle de son pouvoir lunaire.

« Le temps est venu mes sœurs. Ne soyez pas tristes mes sœurs. Nous nous reverrons, nous serons liées à jamais ».

Dypna serra dans ses bras ses sœurs sorcières les unes après les autres.

 « Où vas-tu aller Dypna ? » lui demanda Eanna.

 « Partout où je pourrais exercer mes dons. Au revoir, douce Eanna ».

Les sorcières de la Lune regardèrent leur sœur partir. Peu à peu, toutes s’en retournèrent dans leur maison. Seule Eanna resta. Un sentiment de malaise s’insinuait en elle.

« Eanna que fais-tu encore ici ? »

« Je suis inquiète, Eabha. Avons-nous eu raison de laisser partir Dypna ? »

« Je l’ignore. Elle est puissante sans aucun doute, elle a soif de reconnaissance aussi mais elle a suivi nos enseignements, elle saura les garder dans son cœur ».

« J’espère que tu as raison ».

« Ne nous inquiétons pas de cela ce soir. Rentre chez toi te reposer. Ton bébé va bientôt naître, pense à lui, je me charge du reste ». dit Eabha en posant sa main sur le ventre arrondi de la sorcière.

Eanna s'en alla sans un bruit sous le regard bienveillant de la Lune. La grande sorcière quant à elle ramassa les débris de la pierre de Lune de Dypna. Le temps lui était compté, elle devait tout faire pour protéger ses sœurs et surtout l'enfant d'Eanna. Son destin allait bouleverser l'équilibre établi, le monde changerait quand son pouvoir lui serait remis. Le départ de Dypna changeait les choses, assurément. Eabha sortit un grimoire caché sous les lattes du sol de sa chaumière. Toutes les prophéties du monde y étaient répertoriées, passées, présentes et futures.

« La lune reconnaîtra dans un être unique, né d’un amour sincère, son égal ici-bas. Sang mêlé au cœur pur, il combattra le mal de celle qui fut jadis la défenseure du bien, aveuglée par la haine et le chagrin malsain. Lumières et ténèbres s’affronteront demain dans une lutte sans fin où il n’en restera qu’un ».

Eabha déposa les morceaux de pierre de lune au milieu du pentacle et prononça une nouvelle prière.

« Toi Lune, déesse de la nuit entend ma prière. Toi Lune, alliée des rêves, entend ma requête. Bientôt un enfant naîtra et notre monde changera. Oh Lune protège cet enfant, héritier de pouvoirs sans précédent. Oh Lune entend cet humble appel qui je l'espère montera jusqu'au ciel ».

Le vent se mit à souffler furieux et libre. Dans une lumière bleue et puissante, la pierre de lune se reforma. Eabha s’en saisit et la déposa dans un coffre qu’elle rangea avec le grimoire des prophéties. Un jour viendra où elle remettra cette pierre à l’enfant qui en deviendra digne. La nuit redevint calme, le vent s'apaisa et le monde se retrouva plongé dans une douce torpeur. Eanna mit au monde une petite fille cette nuit-là. Un magnifique bébé aux yeux couleur noisette comblait maintenant de bonheur la jeune maman et son époux Gontrain. L'amour qu'ils se portaient tous deux n'était rien comparé à celui qu'ils avaient pour leur douce Éléanor.  Elle était comme un diamant précieux, comme le premier vol d'un oiseau, aussi belle que l'alliance du soleil et de la lune, fruit des amours d’une sorcière et d’un humain.

Cinq années s’écoulèrent pendant lesquelles Dypna gagna en puissance et Eléanor grandit entourée de l’amour de ses parents. Elle avait le regard charmeur et le sourire d'un ange. De beaux cheveux roux encadraient le visage d'Éléanor tel un halo de lumière. La petite fille avait la beauté et le rire de sa mère, la fierté et la franchise de son père. Eanna et Gontrain s'émerveillaient de la vivacité de leur fille. La sorcière s’inquiétait aussi du pouvoir grandissant de Dypna. Des rumeurs étaient parvenues jusqu’au cercle des sorcières de la Lune. Des rumeurs de magie noire. Eanna et Gontrain, accompagnés de leur fille, se rendaient au château où Eabha, qui était devenue le médecin de la cour, leur avait donné rendez-vous.

« Eanna, as-tu eu vent de ce qui s’est passé dans le village voisin ? »

« Non, dis-moi ? »

« On raconte que les hommes sont devenus fous et se sont battus les uns contre les autres. Quelques enfants ont réussi à s’échapper et à venir jusqu’au château. Ils ont dit qu’une femme inconnue était arrivée dans leur village et que peu de temps après, les villageois s’étaient mis à se comporter de façon étrange et brutale ».

« La magie noire pourrait en être la cause… » répondit Eanna avec gravité.

« Crois-tu qu’il pourrait s’agir de Dypna, la femme inconnue ? » demanda Gontrain.

« Je l’ignore, mais d’après ce que nous savons, elle a oublié tous les enseignements du cercle pour se tourner vers les ténèbres et la magie noire. Elle cherche à contrôler les hommes mais j’ai peine à croire qu’elle les ferait se déchirer entre eux ».

« Tu vois toujours le meilleur en chacun de nous même lorsqu’il n’est visible qu’à tes yeux n’est-ce pas ? »

 « J’ai la Foi, mon amour » dit Eanna en embrassant Gontrain.

Ils arrivèrent devant les quartiers d’Eabha qui les accueilli chaleureusement. Eléanor se précipita dans ses bras. Elle aimait tellement Eabha.

« Pourquoi voulais-tu nous voir, Eabha ? » demanda Gontrain.

Eabha ne répondit pas tout de suite. Elle donna des jouets à Eléanor qui s’éloigna pour s’amuser. Elle s’assit dans un fauteuil en observant cette famille qui était devenue la sienne. Ce qu’elle s’apprêtait à leur dire allait sans nul doute les bouleverser.

« Vous n’êtes pas sans savoir que Dypna a bien changé depuis son départ du cercle. Ses agissements sont très préoccupants et nous devons agir pour le bien du monde et de votre fille ».

« Eléanor ? Qu’a-t-elle à voir avec Dypna ? » demanda Eanna soudain très inquiète.

« Eanna, te souviens-tu de la prophétie dont Dypna nous a parlé avant son départ, la raison pour laquelle elle est partie ? »

« Bien sûr mais tu nous as dit ne pas la connaître ? »

« Et bien, je n’ai pas été tout à fait honnête avec nos sœurs et avec toi aussi. Il y a longtemps que je connais l’existence de la prophétie. Quand tu es arrivée dans le cercle et que Gontrain et toi êtes tombés amoureux, j’ai su que la prophétie vous concernait ».

« Je ne comprends pas. Que veux-tu dire ? » interrogea Gontrain.

Eabha se leva et se dirigea vers sa bibliothèque. Elle retira plusieurs ouvrages et dégagea un petit coffre dans lequel se trouvaient une pierre de lune et un grimoire. Elle ouvrit le grimoire à la page de la prophétie qui concernait Eanna et sa famille et lui tendit l’ouvrage. «

« Lis le paragraphe, Eanna »

« La lune reconnaîtra dans un être unique, né d’un amour sincère, son égal ici-bas. Sang mêlé au cœur pur, il combattra le mal de celle qui fut jadis la défenseure du bien, aveuglée par la haine et le chagrin malsain. Lumières et ténèbres s’affronteront demain dans une lutte sans fin où il n’en restera qu’un ».

« Il n’ait pas dit que cet être unique est Eléanor » dit Gontrain.

« C’est vrai, tu as raison mais vous êtes les seuls, sorcière et humain dans le monde connu à avoir eu un enfant, un sang mêlé » répondit Eabha.

« Pourquoi nous en parlé maintenant, Eabha ? Qu’est ce qui a changé ? »

« Dypna a appris que la prophétie parle de votre fille. Elle revient à Camelot pour y mettre un terme. Elle croit que si elle prend la vie d’Eléanor, son pouvoir n’aura plus de limite et elle pourra asservir le monde des hommes ».

« Je ne la laisserai pas faire. Personne ne touchera à un seul cheveu de ma fille » dit Gontrain avec colère.

« Père, pourquoi est-ce que tu cries ? » demanda Eléanor, les yeux brillants de larmes. 

« Pour rien, ma chérie » dit Gontrain en prenant sa fille dans ses bras.

« Que pouvons-nous faire ? »

Eabha tendit la pierre de lune qu’elle avait sertie d’un cordon et le donna à Eanna.

« Ce médaillon la protégera. Tant qu’elle le portera, elle sera protégée par la magie de la Lune et par la tienne Eanna. Tant qu’elle le portera, elle sera en sécurité ».

« Tu ne peux pas mettre toute ta confiance dans ce médaillon, Eanna. Il s’agit de notre fille. Nous devons partir, quitter le royaume, nous cacher » dit Gontrain en prenant les mains de sa femme dans les siennes.

« Oui, tu as peut-être raison ».

« Non, vous devez rester. Le cercle pourra protéger Eléanor. Restez à Camelot, mes amis et ensemble nous pourrons veiller sur votre enfant. C’est ici que se trouve la source de notre magie, là où elle la plus forte. C’est ici que nous sommes les plus forts pour vaincre Dypna ».

Eanna ne répondit rien mais des larmes coulèrent sur ses joues et s’écrasèrent sur le sol. Elle savait qu’épouser un humain, de fonder une famille avait été une folie mais, elle ne pouvait se résoudre à vivre sans amour. Depuis qu’elle connaissait Gontrain, depuis la naissance de sa fille, sa magie avait été plus belle, plus forte.

« Je te suivrais n’importe où, où tu décideras d’aller, mon amour » dit Gontrain.

« Nous allons rester à Camelot et nous battre pour Eléanor et pour le bien. Nous ne fuirons pas, Gontrain ».

« Très bien ».

Il prit le médaillon des mains d’Eanna et le mit autour du cou de sa fille.

« Ma chérie, c’est un cadeau de ta maman, d’Eabha et moi. C’est un gage de notre amour pour toi. Il faudra toujours, toujours le garder autour de ton cou, tu comprends ? »

« D’accord, père ».

Les trois adultes se regardèrent avec inquiétude. Les dés étaient jetés. Le soir venu, un orage envahit le ciel de Camelot. La pluie inonda les champs. Le vent martelait les maisons bientôt rejoint par la grêle. Le soleil laissa place à une nuit froide et terrifiante. Une rumeur siffla dans les arbres. Les animaux fuirent devant sa venue. L'heure était enfin arrivée.

Éléanor n'aimait pas l'orage. Il lui faisait peur. La petite fille alla se réfugier dans les bras de sa mère. Comme elle aimait sa maman : elle sentait la vanille et ses cheveux avaient la couleur du miel. En cette nuit froide, Eanna réconforta sa fille, toutes deux bercées par les chants de Gontrain. Ils s’apprêtaient à border leur fille quand Eabha frappa à la porte de leur maison. Son visage était grave. Eanna comprit : elle devait accomplir son devoir pour protéger ceux qu'elle aimait. Gontrain regarda sa femme et su qu'il devait éloigner leur fille du danger à venir. Tandis que Gontrain et Éléanor disparaissaient dans les profondeurs de la nuit, Eabha et Eanna convoquèrent les autres sorcières de la Lune. Les douze sorcières se rassemblèrent dans la clairière du loup blanc. Ensemble, elles se préparèrent à affronter l’ennemie qui fut autrefois leur sœur, Dypna, la sorcière noire. La lune se couvrit d'un épais voile noir. La pluie et la nuit sombre entouraient la sorcière noire comme de vieilles amies. Elle se rapprocha de la clairière du loup blanc, silencieuse, menaçante et impatiente. Elle avait la puissance du lion et la perfidie du serpent. Le temps du cercle des sorcières de la Lune était révolu.

Son pouvoir était devenu immense et aucun être ne pourrait plus rien contre elle, surtout pas une enfant. Elle voulait un pouvoir absolu et diriger le monde. Le temps du bien était révolu. Les sorcières de la lune sentirent sa présence dès son arrivée dans la clairière du loup blanc. Elles attendaient silencieuses, les sens en alerte. Comme une réponse, la sorcière noire jaillit des bois dans un grondement. Elle lança les hostilités la première surprenant ses anciennes consœurs. Eabha répliqua suivit de près par Eanna et les autres sorcières. C'était le combat du bien et du mal, la pureté de la lune face à la noirceur d'une éclipse. Le combat dura longtemps, les sorcières étaient épuisées. Rien ne semblait efficace face aux pouvoirs de la sorcière noire. Soudain, dans un moment de lucidité, Eanna se souvint d'une ancienne formule qui avait le pouvoir de vaincre toutes les formes de magie noire très puissantes. C'était là leur seule chance. Tandis que la sorcière noire en appelait aux profondeurs de la nuit, aux êtres infâmes et aux créatures de l'ombre, Eanna se leva et posa la main sur son médaillon invoquant ainsi les pouvoirs de la Lune.

« La lumière que je porte en moi, ainsi que l'amour, la gentillesse et la foi auront raison de toi. Retournes d'où tu viens car tu n'auras jamais victoire sur les miens. Retournes sous terre avec ton énergie mortifère. Tu as perdu cette guerre ! »

La sorcière noire fut détruite, son corps réduit en cendres. Eanna s'effondra inerte. Le prix fut terrible : elle sacrifia sa vie pour l’amour. Sa pureté et sa bonté avaient été plus forts que l'ennemi. Alors qu'Eanna vivait ses derniers instants, elle prononça deux mots. Ils furent si forts et si emplis d'amour que la Lune fit pousser un chêne majestueux pour que son souvenir demeure à jamais.

« Gontrain, Éléanor... » 

Onze années passèrent, laissant Gontrain et Éléanor dans un immense chagrin. Éléanor avait grandi sans sa maman mais Gontrain s’était montré un père aimant, protecteur et bienveillant. Il aimait sa fille plus que sa propre vie et voyait en elle son épouse disparue. Elle était d’une beauté resplendissante : ses cheveux roux flamboyants faisaient penser à une crinière de lion, ses yeux noisette avaient les reflets de l’or et tout en elle inspirait la confiance et la bonté. Éléanor était d’une intelligence raffinée et avait un goût pour toutes les nouvelles choses qui se présentaient à elle. Tous deux vivaient désormais dans le faubourg du château de Camelot. Gontrain était devenu le maréchal-ferrant du royaume. C’était un homme respecté de tous, ses conseils étaient avisés.

Camelot était un royaume prospère, dirigé d’une main de fer par le roi Uther Pendragon. Il était épaulé par son fils, le prince Arthur. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années qui bien qu’intelligent et courageux, était aussi arrogant. Il avait beaucoup d’allure, étant grand et bien bâti, les cheveux blonds, les yeux gris. Il était très apprécié par les jeunes femmes qui espéraient toutes faire chavirer son cœur et devenir sa promise. Pourtant, Arthur, ne pensait pas à ces choses-là. Il préférait de loin les salles d’entraînements aux salles de bals. La seule femme qui trouvait grâce à ses yeux était Lisa, sa cousine. Plus jeune qu’Arthur mais assurément plus mature, elle était juste et droite. Elle avait beaucoup de tempérament mais savait se montrer à l’écoute. Ses conseils étaient précieux pour Arthur et leur complicité était sincère. Le prince Arthur avait été heureux d’avoir Lisa au château ainsi que Gabriel, le frère de cette dernière. Ayant perdu sa mère très tôt, il s’était senti très seul jusqu’à leur arrivée. Il avait alors pu grandir avec des gens de son âge et de son rang et s’était épanoui en leur présence.

Lisa et Gabriel avaient été recueillis par le roi Uther à la mort de leur père. Rupert, le frère d’Uther était entré entre guerre contre des vikings qui menaçaient la sûreté de son propre royaume. La bataille avait été terrible et les pertes humaines désastreuses mais il avait réussi à repousser les ennemis hors de son royaume. Il était revenu grièvement blessé et n’avait pas survécu à ses blessures. Rupert, dont le royaume était souvent menacé, avait pris très tôt des mesures pour assurer à ses enfants un avenir serein. Uther en serait le régent jusqu’à la majorité de son fils Gabriel. Rupert mort, cet accord entre les deux frères fut donc mis en place. Lisa et son frère vinrent donc s’installer à Camelot. Cet arrachement à leur royaume n’avait pas été évident. Lisa avait 14 ans quand son père était mort et Gabriel 12 ans. Il était devenu colérique et renfermé. Leur mère avait disparu alors qu’ils étaient très jeunes et perdre leur père quelques années après n’avait fait que renforcé son tempérament déjà ombrageux. Blond, le regard droit et dur, Gabriel avait la stature de son père. Comme Arthur, il maniait fort bien l’épée mais refusait de participer aux mondanités. Lisa et Arthur étaient les seuls qui parvenaient à le comprendre vraiment. Leur amitié les avait sauvés de tous les drames auxquels ils avaient été confrontés si jeunes.

La vie de Gontrain et Eléanor se déroula paisiblement après le drame qui les avait frappés. Éléanor aimait sa vie, elle aimait l'atmosphère qui régnait à Camelot, les couleurs, les gens qui y vivaient. La jeune fille avait obtenu un travail en tant que servante de la princesse Lisa. Éléanor avait beaucoup d'admiration pour la princesse : elle la trouvait belle, forte, téméraire. Elle était une des seules personnes à tenir tête au prince Arthur, ce qui la rendait d'autant plus admirable aux yeux de la jeune fille qui avait soif de justice et d’égalité. Lisa était une femme bienveillante qui écoutait les rêves et les envies d'Éléanor. Les deux jeunes femmes étaient devenues amies s'exposant ainsi aux confidences et aux discussions. Il n'existait pas entre elles une quelconque supériorité : elles étaient égales dans leurs droits et leurs principes.

Camelot était devenu un grand royaume. Le royaume de Rupert apportait de nombreuses richesses, les échanges de vivres et de marchandises étaient courants. L’économie était florissante et les habitants heureux. Arthur et Gabriel se comportaient comme des enfants gâtés, chahutant et se bagarrant dans les rues du faubourg. La princesse Lisa était une alliée fidèle du petit peuple : elle combattait la pauvreté et s’évertuait à donner une vie meilleure aux enfants. Elle s'était ainsi engagée à donner des cours d'écriture et de lecture aux plus pauvres. Avec l'aide d'Éléanor, la princesse Lisa luttait contre l'analphabétisme. Gontrain, quant à lui, avait pris une place importante, devenant ainsi le maréchal-ferrant et le forgeron d’Uther.

Chapitre 1 : la folie d'Uther

Chapitre en cours de réécriture 

Des cris venaient perturber la douce torpeur du matin. Des cris d’homme qui provenaient du château. Des cris bientôt suivis par des bruits de lutte. Eléanor et Gontrain venaient d’arriver dans la cour du château. Ils se regardèrent avec inquiétude.

« Que se passe-t-il ? » demanda Eléanor

« Allons-voir » répondit Gontrain.

Ils se dirigèrent vers les lourdes portes de bois et traversèrent le grand hall du château. Des serviteurs couraient en tous sens vers les appartements royaux. Eléanor reconnue Marie, une amie à elle.

« Marie, que se passe-t-il ? Le château est attaqué ? »

« C’est le roi Uther. Lorsque ses serviteurs sont entrés ce matin dans ses appartements, il a cru qu’ils venaient le dépouiller. Il les a attaqués et les a blessés avec son épée. Les gardes sont intervenus pour le maitriser avant qu’ils ne tuent les malheureux. On les a conduits chez Eabha. Elle s’occupe du roi en ce moment même ».

« Je vais aller voir le roi » dit Gontrain.

« Je t’accompagne, père. Peut-être pourrais-je être utile ? »

« Faites attention à vous, le roi n’est plus lui-même » leur dit Marie avant de retourner à son travail.

Ils montèrent les marches de pierre et se dirigèrent vers les appartements d’Uther. Dans le couloir, des tapisseries avaient été déchirées et les portes de bois enfoncées. La princesse Lisa sortit des appartements de son oncle et aperçu Gontrain et Eléanor.

« Gontrain, c’est justement vous que je cherchais ».

« Que puis-je faire pour vous aider, votre majesté ? »

« Comme vous le voyez, il y a eu quelques dégâts ici. Pouvez-vous réparer ce qui a été abîmé et prendre en charge les travaux ? »

« Bien sûr. Comment se porte le roi ? »

« Il va mieux. Voulez-vous venir avec moi tous les deux, nous pourrons parler plus aisément de ce qu’il convient de faire dans mes appartements » dit Lisa.

Ils prirent la direction des appartements de la princesse Lisa. Eléanor voyait à son air inquiet que quelque chose n’allait pas. Le roi n’allait peut-être pas mieux. Lisa entra dans sa chambre et s’installa à la table. Gontrain et Eléanor restèrent debout attendant qu’elle s’adresse à eux. Elle croisa les mains laissa échapper un long soupir.

« Le roi ne va pas bien, mes amis. Il y a maintenant quelques mois qu’il a des crises. La nuit surtout. Il ne reconnaît plus les gens autour de lui, il voit des ennemis partout. Il ne dort plus sans avoir son épée à portée de mains. Nous avons réuni un conseil exceptionnel la semaine dernière : les gens ne doivent pas savoir ce qui arrive au roi, le royaume pourrait en être affaibli. Malheureusement, avec ce qui vient de se passer, il va être difficile de cacher que le roi est souffrant ».

Quelqu’un toqua à la porte et Arthur entra dans la pièce.

« Lisa, que s’est-il passé ? Je reviens de mon entraînement et j’apprends que deux serviteurs ont été blessés par mon père ».

« Il a fait une nouvelle crise Arthur ».

« Je vais le voir de ce pas ».

« Attends un peu. Eabha lui a donné un remède pour qu’il puisse se rendormir. Laissons-le récupérer ».

« Réunissons le conseil à nouveau. Nous ne pouvons pas laisser des rumeurs courir dans le château. Cela serait trop dangereux ».

« Tu as raison. Gontrain pouvez-vous mettre au travail dès aujourd’hui ? Plus les travaux seront terminés rapidement, plus il nous sera facile de faire oublier cet incident fâcheux ».

« Bien sûr, je vais chercher mes outils et demander de l’aide à Mirdin, le charpentier ».

« Merci à vous. Eléanor, je devais donner un cours de lecture à un groupe de jeunes filles ce matin mais je ne pourrais pas m’y rendre. Peux-tu prendre ma place ? »

« Je ne sais pas si je suis la plus qualifiée pour faire cela. Voulez-vous que je demande à une dame de la cour d’assurer votre atelier ? »

« Non, je préfère que ce soit toi. J’ai entièrement confiance. Tu as suivi tous les ateliers, tu es la plus à même de savoir ce qu’il convient de faire ».

Eléanor et Gontrain prirent congés de la princesse Lisa et du prince Arthur. Ils devaient tous les deux se préparer pour leur travail au château.

« Que crois-tu qu’il va advenir du roi, père ? »

« Je ne sais pas, mon ange. Eabha connaît des remèdes à de nombreux maux. Elle saura l’aider, je l’espère en tout cas ».

Arthur s’était laissé tomber sur une chaise, la tête entre les mains. Lisa s’approcha et posa sa main sur son épaule.

« Nous trouverons une solution Arthur. Nous ne laisserons pas ton père affronter seul ses démons ».

« Comment en est-on arrivé là ? Il allait si bien il y a encore quelques mois ».

« Ton père a connu de nombreuses guerres et participé à de nombreuses batailles. Il a vu des choses terribles : il est normal que toutes ces épreuves viennent le hanter, nous serions tout aussi vulnérables à sa place ».

« Mais il est si fort, Lisa, si solide. Il ne peut pas s’effondrer. Le royaume ne peut fonctionner sans lui ».

« Tu es là, Arthur, tu sais comment faire, tu as été élevé pour cela. Et tu n’es pas seul : Gabriel et moi sommes là pour t’aider ».

« Merci Lisa, ta sagesse est un véritable réconfort ».

Eabha parvint à soigner les deux malheureux qui avaient subi la folie du roi. Arthur leur avait rendu visite : il voulait s’assurer qu’ils n’auraient aucune séquelle de ce triste incident. Eabha lui affirma qu’ils se remettraient vite mais les deux serviteurs étaient terrifiés de se retrouver en présence du roi. Le jeune prince les releva de leurs fonctions tout en leur attribuant une nouvelle place au service de chevaliers du royaume. Le roi se trouvait encore dans une grande détresse. Le remède qu’Eabha lui avait donné n’avait fait effet que peu de temps. Elle avait demandé à ce qu’on le conduise dans son cabinet afin de lui prodiguer les meilleurs soins possibles. Lisa et Arthur étaient venu à son chevet mais à leur grand désarroi, ils ne les avaient pas reconnus. Le médecin l’avait fait attacher au lit car il se débattait, comme une bête sauvage prise dans un piège. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, ses paroles étaient dénuées de sens.

« Eabha, je vous en prie, aidez-le » supplia Arthur tandis que tous les deux sortaient dans la cour.

« J’essaie tous les remèdes que je connais, les plus anciens comme les plus récents. Je ne laisserai pas tomber votre père ».

« Vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir ? »

« Assurément ».

« Vous utiliserez la magie ? »

Eabha regarda Arthur avec de grands yeux ronds.

« La magie ? »

« Eabha, je connais les rumeurs qui vous entourent. Nul ne peut ignorer les dons qui sont les vôtres. S’il vous plait, aidez-le. Le royaume a besoin de lui. J’ai besoin de lui, Eabha. J’ai déjà perdu ma mère, je ne veux pas le perdre lui » dit Arthur le regard déchiré par la tristesse.

Eabha ne répondit rien. Elle pratiquait sa magie dans le secret depuis son affrontement avec Dypna. Cette dernière avait tellement terrorisé les villageois qu’ils craignaient la magie plus que toute autre chose aujourd’hui. Les patients d’Eabha s’imaginaient sans doute des choses, de merveilleuses choses mais ne se doutaient pas vraiment de l’étendue de ses pouvoirs. Elle préférait ne rien révéler de ses dons sans toutefois renier qui elle était et ce en quoi elle croyait.

« Je dois retourner auprès de votre père, Arthur. Je vous tiendrais au courant de son état tout au long de la journée. » dit Eabha en posant une main affectueuse sur le bras d’Arthur.

Ce dernier retourna au château. Les conseillers devaient s’être réunis dans la salle du trône à présent. Il pressa le pas. Quand il entra, il trouva face à lui des mines graves. Ses cousins étaient présents également. Leur soutien serait précieux à Arthur. L’avenir de Camelot s’annonçait sombre si Uther venait à disparaître. Ce dernier avait été un grand roi mais aujourd'hui la question de sa succession se posait. Pour autant, Uther restait un souverain apprécié de ses sujets : il avait combattu pour rendre à Camelot une grandeur jadis perdue. Il avait signé des traités de paix, fait éclore l'économie. Nul ne pouvait remettre en question cela. 

Eléanor se rendit en cuisine à la fin de son atelier de lecture. Elle avait pris beaucoup de plaisir à enseigner ce que la princesse Lisa lui avait appris. Il était très important pour elle que toutes les jeunes filles puissent bénéficier des mêmes apprentissages. La liberté passait aussi par la culture. Son atelier lui avait permis d’alléger le sentiment de terreur qui avait envahi son cœur suite à la détresse dont souffrait le roi. Une discussion animée parvenait des cuisines. Des voix s’élevaient comme des abeilles dans une ruche. Eléanor entra dans la cuisine où elle fut assaillie de questions. Marie se trouvait au centre de la foule. Eléanor comprit très vite qu’elle avait raconté à tous ceux qu’elle avait croisé ce qui s’était passé plus tôt dans la matinée.

> En cours de réécriture 

La vie se figea alors à Camelot : Uther venait de mourir, emporté par ses démons, fatigué de sa folie. Il laissait son fils, à présent seul, monter sur le trône. La cour était en plein désarroi. Le peuple, lui, continuait de s'atteler à ses tâches quotidiennes.

Arthur se retira dans ses appartements. Gabriel, laissa la colère l'emporter et partit sur son cheval pour libérer son esprit. C'est à Lisa que revint la tâche d'organiser les funérailles du roi. Le conseil royal, quant à lui, prépara le couronnement du prince Arthur. Ce dernier ne se sentait pas prêt, il avait trop de choses encore à découvrir, des aventures à vivre. Devenir roi était pour lui un fardeau. A 22 ans, il ne se voyait pas souverain. Et pourtant, il savait que ce jour arriverait tôt ou tard. Il avait été préparé toute sa vie pour cet événement.

Il aimait et craignait son père à présent disparu. Il avait eu tant de respect pour lui malgré les différences entre eux. Son père avait été un valeureux guerrier. Il avait su défendre le royaume et apporter la paix. Le prince Arthur avait peur d'échouer, peur de ne pas y arriver. L'avenir du royaume reposait désormais sur ses épaules. Ses ennemis ne tarderaient pas à se manifester. Debout, au milieu de ses appartements, Arthur releva la tête. Il prit l'engagement d'être un roi juste et bon, ferme et courageux. Il prêta serment pour lui-même, pour ses parents, pour ses ancêtres. Il prêta serment pour son peuple.

Les hommages au roi furent prêts à être rendus. Les alliés se pressaient à Camelot pour honorer le souvenir d'Uther et rendre allégeance au futur roi. Le peuple se mêlait aux nobles et aux chevaliers venus se recueillir. Le royaume était en deuil. Les mines étaient graves, les sourires absents. Et pourtant, une ère nouvelle allait s'ouvrir avec le règne d'Arthur. Ce dernier était plus ouvert et faisait preuve de bienveillance à l'égard de ses sujets. Sa jeunesse serait bénéfique à Camelot. Bientôt, une nouvelle génération allait régner sur le royaume. Le monde était en train de changer. Doucement, la vie reprendrait son cours. La fin difficile du règne d'Uther laissait la place à de nouvelles attentes et de nouveaux espoirs.

Le roi est mort. Vive le roi.

Chapitre 2 : un nouveau roi pour Camelot

Arthur avait l'allure d'un roi. Ses conseillers l'entouraient de mille mots. Gontrain aidait le futur roi de son mieux mais l'esprit d'Arthur était obstrué par la douleur. Aucun mot ne semblait pouvoir apaiser le jeune homme.  Arthur se sentait terriblement seul. Son père avait été un modèle et sans lui pour le guider, son monde s'écroulait. La journée n'en finissait pas. On aurait dit que la terre tout entière venait rendre un dernier hommage à Uther Pendragon. Uther Pendragon qui avait été un roi craint et dans les derniers temps, un roi détesté. Le royaume était à l'agonie à l'arrivée d'Uther et des mesures drastiques avaient été imposées pour permettre à Camelot de se relever des guerres et des épidémies. Tous s'accordaient à dire qu'Uther avait été un valeureux guerrier, courageux et fort. Mais aucun ne pouvait dire qu'il avait été compatissant ou juste. Même pas son propre fils qui l'avait pourtant adulé.

Le Prince Arthur voulait fuir cette agitation. Malheureusement, il ne pouvait pas. Son peuple attendait qu'il se montre courageux et fort et il s'était promit de l'être. Après tout, il était Arthur Pendragon, premier chevalier de Camelot. En y regardant bien, il savait qu'il n'était pas seul. Il pouvait compter sur Lisa. Elle assumait beaucoup de choses. Elle l'avait toujours fait d'ailleurs. A la mort de sa mère, sa cousine était devenue une femme, prenant son rôle de grande sœur très à cœur.

Lorsque Rupert avait rendu l'âme, Lisa n'avait eu de cesse de se comporter comme une vraie reine et de faire perdurer la mémoire de ses parents et de son peuple. En réalité, Arthur considérait ses cousins comme ses frères et sœurs. Ils avaient grandi ensemble. Avec Gabriel, il avait souvent charrié Lisa, la trouvant trop sérieuse. Aujourd'hui, il comprenait qu'elle n'avait pas eu le choix. Dorénavant, c'était à Arthur de devenir sérieux. Le Prince se dirigea vers sa cousine. Elle était en pleine conversation avec Gelhard, roi des Cornouailles.

« Gelhard, je vous remercie d'avoir fait le déplacement. Mon père vous tenait en très haute estime ».

« Arthur, votre père et moi étions de véritables amis. J'aurai manqué à mon devoir en ne venant pas lui rendre un dernier hommage ».

« Arthur, nous discutions justement des liens qui unissent Camelot et les Cornouailles depuis de si nombreuses années maintenant » intervint Lisa.

« Il est vrai que nos deux peuples se sont unis bien des fois pour des causes communes ».

« Arthur, vous savez que la mort d'Uther fragilise votre royaume. Les responsabilités qui vous sont dues sont grandes et vous aurez besoin d'alliés fidèles » s'enquit Gelhard.

« Unissons nos royaumes au travers d'un acte fort » ajouta le roi.

« Je ne suis pas certain de comprendre ». répondit Arthur.

« Un mariage. Voilà un acte fort qui dissuaderait tes ennemis de t'attaquer en ce début de règne ». dit Lisa.

« Ne répondez pas immédiatement, Arthur. Prenez le temps de la réflexion. Je reconnais que les circonstances ne se prêtent pas à de telles discussions. Permettez-moi de prendre congé de vous. Dame Lisa ».

Arthur se tourna vers sa cousine avec un regard interloqué ce qui ne manqua pas de faire rire Lisa.

Il fut temps pour Arthur de se rendre dans la salle du trône. Tous l'attendaient. Il se para de ses habits de cérémonie. Son cœur battait si fort, son cerveau était en ébullition. Il allait être sacré et couronné roi. Son destin allait être scellé pour toujours. Les portes s'ouvrirent et dignement il avança vers le grand prêtre. La foule retenait son souffle. Nobles et manants l'observaient et espéraient de lui des changements, de la nouveauté, un nouvel avenir pour le royaume de Camelot. Il soutint le regard de ses cousins, véritable soutien en cet instant. Un instant suspendu. Il vint s'agenouiller aux pieds du prêtre.

« Prince Arthur, vous êtes ici aujourd'hui pour être sacré roi. Jurez-vous de toujours défendre le royaume, d'un être un roi juste et compatissant ? »

« Je le jure »

 « Jurez-vous de respecter les lois du royaume de Camelot et de faire honneur à tous les rois qui vous ont précédé ? »

« Je le jure »

« Jurez-vous de faire prospérer le royaume, de faire fleurir son économie et de protéger votre peuple de la misère ? »

« Je le jure »

« Prince Arthur, par les pouvoirs qui m'ont été conférés, je dépose sur votre tête la couronne royale, symbole des temps passés, présents et à venir. Longue vie au roi Arthur Pendragon ».

« Longue vie au roi ».    

Le roi Arthur se releva et se présenta à la foule. Il avait le sentiment de détenir un immense pouvoir.  Son peuple s'inclina. Tous lui rendaient allégeance, signe qu'il était désormais roi de Camelot. Les seigneurs se succédèrent pour lui rendre hommage. Arthur mûrit grandement à cet instant. Des populations entières dépendaient de ses choix à présent. Il ressentait de la fierté dans la voix de ses sujets. La cérémonie ainsi achevée, les gens se dirigèrent vers la cour royale. Il était de coutume que le nouveau roi donne une réception en son honneur. Les grands du royaume étaient réunis pour partager le début de règne du nouveau souverain.

Pourtant, Arthur voulait lier traditions et changements. Le repas allait avoir lieu mais il avait invité des paysans, des commerçants de son royaume en plus des invités habituels. Des personnes de toutes catégories sociales avaient été conviées : son royaume était composé d'une telle diversité de populations, d’une telle énergie qu'il voulait retrouver cette dynamique autour de lui.

Les gens prirent place autour de la grande table dressée au milieu de la cour. Plusieurs cochons grillés tournaient sur des broches. Des fruits à profusion et du pain blanc garnissaient les tablées. La bonne humeur régnait, les gens se sentaient en sécurité avec ce nouveau roi. Arthur demeura silencieux un moment, observant la foule. Son père aurait sûrement désapprouvé cette assemblée, estimant que le petit peuple ne pouvait pas se mélanger à la bourgeoisie. Pourtant, Arthur savait que son peuple faisait de lui le roi : sans un peuple à gouverner quelle était l'utilité d'un roi ?

« Tu parais bien silencieux, Arthur » dit Lisa

« Excuse-moi mais tant de responsabilités m'incombent désormais et j'ai le sentiment que je ne pourrais y faire face seul ».

« Tu n'es pas seul tu le sais. Gabriel et moi sommes là et tu as Gontrain pour t'aider dans l’exercice du pouvoir. Tout ira bien. En attendant, il est inutile de te laisser mourir de faim, alors mange ! »

« Tu as raison » répondit Arthur en souriant.

Eléanor évoluait parmi les invités faisant en sorte de satisfaire tout le monde. Les invités étaient heureux. Ce repas était l'occasion de réunir des gens tellement différents, de construire une nouvelle énergie pour le royaume de Camelot. Quelques commerçants du faubourg se mirent à jouer de la musique : ils entonnèrent l'hymne de Camelot, musique pleine de promesses. Gontrain se joignit aux autres musiciens et se mit à jouer un air celtique au luth. Eléanor accompagna le groupe de sa voix. Les notes s'élevaient dans les airs emplissant l'assemblée d'un même sentiment de joie. Certains prirent place au milieu de la cour pour danser, les enfants entamèrent des rondes. Chacun se sentait à sa place dans le royaume qu'Arthur venait de prendre sous son aile. La fête se déroula jusqu'à tard dans la soirée. Des cracheurs de feu s'étaient mêlés à la foule et émerveillaient les convives de leur art. Des jongleurs amusaient également les personnes présentes. Arthur observait son peuple et cela l'emplit de fierté. Il voudrait être à la hauteur de ces gens formidables et il le serait. Les invités prirent ensuite congé du roi le laissant en famille. Arthur les remercia de leur bienveillance. Les esprits semblaient apaisés et prêts pour construire le règne d'Arthur en toute sérénité.

« Et bien je crois que cette première journée s'est bien déroulée, Arthur » lança Gabriel en accompagnant le roi jusqu'à ses appartements.

« Il semblerait » lui répondit Arthur.

« Gabriel je souhaite que tu fasses partie de mon conseil. Mon père a gardé le royaume de Rupert en paix et il est temps pour toi de comprendre les responsabilités qui t'attendent. Demain, je te veux prêt de moi ».

«  Entendu, à demain majesté » répondit Gabriel avec un sourire complice.

Arthur se retrouva seul dans ses appartements. Il repensa à la discussion qu'il avait eue avec Gelhard. Le mariage n'était pas fait pour lui. Il voulait d'abord se consacrer à ses responsabilités, une union n'était pas envisageable. Du moins, pour le moment. Il devait s'entourer d'amis fidèles. Le roi avait besoin de conseils. Il avait besoin de Godefroy, seigneur des Terres Blanches. Il était son plus fidèle ami. Il fit envoyer une lettre à son attention pour que celui-ci le rejoigne à Camelot. Il y avait tant de choses à faire. Arthur se sentait pourtant prêt à tout pour faire honneur à la grandeur de Camelot.

Chapitre 3 : rencontre sous le grand chêne

La vie reprit son cours, calmement, chacun retrouvant sa place. Le père d’Eleanor était dans les écuries pour ferrer Fougue le cheval du roi. Sa fille flânait dans les rues du royaume : Lisa lui avait donné sa journée afin que celle-ci s'occupe d'une affaire pressante commandée par Arthur. La jeune servante s'arrêtait ici et là, disait bonjour à des connaissances, discutait avec les anciens. Eléanor prit ensuite la direction du bureau d'Eabha. Cette dernière était devenue médecin de la cour. Elle prodiguait ainsi soins et conseils à ses patients à travers le royaume. Tous la respectaient et beaucoup la craignaient. Eléanor aimait aller la voir. Elle ne se lassait pas de ses histoires, toujours remplies de magies, de créatures fantastiques et de courage. La jeune fille frappa à la porte de celle qu'elle considérait comme sa nourrice. Celle-ci vint lui ouvrir, offrant à Eléanor un sourire des plus chaleureux.

« Mon enfant, quel plaisir de te voir ! Entre, entre donc ! »

« J'espère que ne te dérange pas ».

« Ce n'est nullement le cas, Eléanor. Dis-moi comment se porte ton père ? »

« Il va bien même s'il s'inquiète constamment pour moi, pour le roi et ses cousins. Pour tout le monde à dire vrai. Crois-tu qu'un jour il verra en moi autre chose que sa petite fille ? »

« Il te protège excessivement car il n'a pas pu protéger ta mère et te voir grandir l'effraie car il sait qu'un jour tu devras voler de tes propres ailes. Ne lui en veux pas de te porter un amour sans limite ».

« Je sais tout cela et je l'aime plus que je ne saurais le dire. Et comme j'aimais ma mère. Elle me manque tant ». répondit Eléanor attristée.

« Elle serait fière de toi, sois en assurée ». dit alors Eabha en enlaçant la jeune fille.

« Eabha, raconte-moi l'histoire de la sorcière noire. Dis-moi encore comment vous l'avez vaincue ».

« Ne préfères-tu pas entendre les histoires de la mythologie grecque ? »

« J'ai besoin de savoir que ma mère n'est pas morte en vain, que son sacrifice demeurera intact dans les mémoires ».

« Alors que dirais-tu d'en faire profiter d'autres personnes ? Il y a longtemps que je n'ai pas conté en public » s'enquit Eabha en souriant.

Les deux femmes sortirent du cabinet du médecin et se dirigèrent vers le centre du faubourg, là où la vie semblait la plus palpitante. A la vue d'Eabha, les enfants vinrent à sa rencontre, impatients,  comme Eléanor, d'entendre une nouvelle histoire. La petite assemblée s'installa en bordure de la ville s'asseyant autour de la doctoresse. Tous attendaient qu'Eabha commence son récit. Celle-ci s'installa confortablement et regarda pensivement les gens autour d'elle. Elle allait revenir 11 ans en arrière et revivre cette nuit si froide qui lui avait enlevée Eanna qu'elle considérait comme sa sœur. Quelques anciens les rejoignirent et Eabha pu prendre la parole.

« Depuis la nuit des temps, le bien et le mal s'affrontent, prenant les formes les plus ordinaires et les plus insolites. De la magie sont nés des sentiments opposés offrant des combats extraordinaires. Certains mages et sorciers voyaient la magie comme un don apportant joie et bonheur. Ils voulaient exploiter leur talent pour faire le bien, pour guérir, pour soulager. Ils voulaient que la magie se mêle à la vie de chacun dans le respect de tous. Néanmoins, tous ceux qui possédaient le don de magie ne comprenaient pas cette position. Certains sorciers se montrèrent ambitieux, vaniteux et cherchèrent à dominer le monde par leurs pouvoirs. Ce fut le cas de la sorcière noire. Le cercle des sorcières de la Lune se voulait généreux avec ceux qui souffraient, offrait secours et soins à ceux qui en faisaient la demande. Pourtant, la sorcière noire, connue alors sous le nom de Dypna, estimait que son pouvoir méritait de plus grandes responsabilités. Elle s'est alors tournée vers les mauvais côtés de la magie, en appelant aux noirceurs du monde et aux créatures démoniaques. La grande sorcière du cercle se rendit compte que Dypna se détournait de la raison et de la générosité au profit de son ambition. Peu à peu, les autres sorcières prirent leur distance laissant Dypna à un isolement forcé. Grand bien lui fasse ! Hélas, il n'en fut rien. Dypna puisa dans cette situation, une force considérable et ses pouvoirs ne cessèrent alors de grandir ».

Eabha fit une pause dans son récit pour observer son auditoire. Tous écoutaient presque religieusement le récit de la grande dame. Elle reprit donc son histoire.

« Vint alors ce jour où la sorcière noire affronta ses anciennes consœurs dans une lutte sans précédent. Les sorcières du cercle de la Lune se rassemblèrent dans la clairière du loup blanc. Un violent orage avait envahi le ciel de Camelot. Cette nuit-là, une nuit froide et sans chaleur, le mal et le bien se confrontèrent, la haine et l'amour furent à nouveau ennemis. Le combat dura longtemps et la victoire sembla assurée pour la sorcière noire. C'est alors que dans un élan désespéré, une des sorcières, la plus courageuse et la plus puissante, sacrifia sa vie pour vaincre Dypna : sa pureté et l'amour qu'elle portait à son époux et à son enfant avaient eu raison de la noirceur et de la vilenie de la sorcière noire. La Lune fut si émue du sacrifice de la jeune sorcière qu'elle fit pousser un chêne majestueux à l'endroit où le sacrifice fut rendu. La sorcière noire quant à elle fut réduite en cendres. Ces dernières furent dispersées aux quatre vents et nul n'entendit plus jamais parler de Dypna. Cette histoire nous apprend des choses importantes : l'amour peut vaincre n'importe quel maléfice et le courage est en chacun de nous ».

L'assistance resta silencieuse. Les histoires d'Eabha étaient si belles et si vivantes que personne ne disait mot pour ne pas briser l'atmosphère créée. Celle de la sorcière noire était si connue que les gens se la racontaient dans les familles, dans les rues et les villages. Bien sûr, beaucoup la voyait comme une légende, sans se douter qu'elle se soit un jour passée. Seule Eléanor savait que ce conte, si beau en apparence, reflétait un drame familial dont elle était la première attristée.  Tous s’appropriaient ce mythe à sa guise. Les plus anciens notamment s'évertuaient à la raconter aux plus jeunes. Au fil du temps, les faits avaient changé, la fin en avait été modifiée. Certains en disaient ainsi ceci :

« Les enfants, savez-vous comment termine véritablement cette histoire ? Et bien, un murmure raconte que la sorcière noire a pu renaître de ses cendres et qu'elle attend de nouveau son heure pour venir exécuter ses sombres desseins, cachée dans la partie interdite de la forêt ».

Arthur n'avait pas perdu une miette de l'histoire de son médecin royal. En voyant cette femme de caractère partir vers le faubourg, lui qui était dans ses bureaux, avait détourné l'attention des gardes pour aller écouter le conte d'Eabha. Il connaissait comme tous les habitants de Camelot l'histoire de la sorcière noire. Il l'avait beaucoup entendu, se surprenant à rêver d'un combat entre cette dernière et lui. Enfant, il avait souvent voulu montrer sa bravoure en affrontant un personnage aussi puissant. Aujourd'hui adulte, il savait que ce n'était qu'un conte qu'on racontait aux enfants pour leur montrer le véritable pouvoir du cœur. La foule commença à se disperser et Arthur reprit le chemin du royaume. Il en profita pour aller voir Fougue son cheval. Celui-ci s'ennuyait. Il y a bien longtemps qu'ils n'avaient pas chevauché tous les deux. Peut-être qu'il y retournerait bientôt. Eabha prit congé d'Éléanor : elle devait rendre visite à des patients. La jeune fille se retrouva seule à l'orée de la forêt. Elle se retrouva donc à flâner dans les bois. Eléanor aimait être seule dans ces lieux. Elle pouvait laisser son esprit s'envoler vers des rêves inavoués et des désirs cachés. Elle se dirigea vers une stèle de marbre blanc, cachée sous un chêne majestueux dont les branches, disait-on, éloignaient le mal et les mauvais sorts. Elle s'assit devant la stèle et observa les alentours. L'arbre offrait un refuge pour ceux qui souhaitaient prier. Eléanor se mit à chanter. D'abord dans sa tête comme un murmure dans le vent. Et puis, la jeune fille entonna son chant à travers les feuilles, à travers le corps et le cœur même du chêne. Les notes s'envolaient emportant avec elles la promesse d'un avenir lumineux. Sa chanson était celle de sa mère, le dernier souvenir qu'elle avait laissé à Eléanor.

« Doucement, quand la lune se lève, les elfes se réveillent et les lumières dansent, le parfum de la nuit effleure les roses rouges, et déjà, petit cœur, les fées t’emmènent vers de lointaines contrées.

Vole, vole, petit cœur, abandonne-toi dans la douceur de la nuit, danse, danse, petit cœur, virevolte dans l'aube qui se lève, chante, chante, petit cœur, livre-toi aux arbres centenaires, rêve, rêve, petit cœur, garde en toi l'espoir d'une lune éternelle.

Quand le géant se lève, les oiseaux s'envolent haut dans le ciel, quand la sirène chante, le monde retient son souffle, l'homme murmure une prière, quand les abeilles s'approchent, l'ours hurle sa joie, vers les montagnes, loin, loin vers l'horizon, et quand tu t'éveilles, petit cœur, le monde chante pour toi d'une seule voix.

Vole, vole, petit cœur, abandonne-toi dans la douceur de la nuit, danse, danse, petit cœur, virevolte dans l'aube qui se lève, chante, chante, petit cœur, livre-toi aux arbres centenaires,  rêve, rêve, petit cœur, garde en toi l'espoir d'une lune éternelle.

Au-delà de l'océan, près des terres inconnues, une voix s'élève dans le murmure de la nuit, le vent l’emporte dans la douceur du crépuscule, vers les cœurs endormis, et tandis que l'océan se déchaîne,  les rêves inondent les pensées enfantines, et pour toi, petit cœur, doucement la lune se lève.

Vole, vole, petit cœur, abandonne-toi dans la douceur de la nuit, danse, danse, petit cœur, virevolte dans l'aube qui se lève, chante, chante, petit cœur, livre-toi aux arbres centenaires, rêve, rêve, petit cœur, garde en toi l'espoir d'une lune éternelle ».

Tandis qu'Eléanor murmurait sa prière au cœur du chêne, un chevalier errait dans la forêt. Il semblait perdu. C'était un bel homme de 22 ans aux cheveux noirs bouclés. Ses yeux pleins de bonté et de bienveillance, quoi qu'un brin taquin, avaient la couleur de l'océan. Ce jeune homme avait une allure fière. Il cherchait son chemin, repassa plusieurs fois devant les mêmes arbres. Il commençait à se désespérer de ne pas atteindre sa destination quand il entendit une voix. N'écoutant que son instinct, il suivit la douce mélodie comme un ours suit l'odeur du miel. Il s'avança doucement, descendant de son cheval. C'est là qu'il l'aperçut. Il vit une jeune femme aux cheveux roux flamboyant chanter à genoux devant une stèle de marbre blanc. Les branches du chêne l'entouraient comme pour la protéger. Il ne voyait pas son visage mais peu lui importait en cet instant. Il écoutait, transporté par la mélodie, par les paroles, par l'émotion et la pureté qui jaillissaient de cette chanson si magnifique. Eléanor termina sa chanson le cœur battant la chamade. Cette dernière avait toujours eu le pouvoir de lui transpercer le cœur. Elle l'aimait tant : sa mère et son père lui avaient chanté chaque soir pour l'endormir. Eléanor n'avait pas remarqué le jeune homme. Elle se releva, plissa sa robe et se retourna. C'est alors qu'elle le vit. Le jeune homme lui faisait face et en imposait par sa taille et son regard droit. Eléanor brisa le silence qui s'était installé :

« Êtes-vous perdu Monseigneur ? » lui dit la jeune fille.

« Certainement ma dame. Je dois rendre visite à un ami à Camelot mais voilà si longtemps que nous ne nous sommes pas vus que j'en ai oublié le chemin de sa demeure ».

« Peut-être pourriez-vous me dire son nom, je connais tout le monde dans le faubourg de Camelot ».

« Oh je crains ma dame que mon ami ne réside pas dans le faubourg : son rang et sa condition ne le lui permettraient pas ».

« Voulez-vous dire que les habitants des faubourgs ont moins de valeur que les grands de ce monde ? Croyez-vous que les petits gens n'ont rien à apporter ? »

« Loin de moi ces idées, ma dame. Je suis un fervent défenseur d'une meilleure égalité entre tous, croyez-moi bien ».

« Pourtant, vous semblez croire que votre ami ne pourrait se mêler à la vie du faubourg. Ce sont les actes qui démontrent qui nous sommes vraiment et non de simples idées ».

« Vous semblez offensée ma dame et je m'en excuse. Sachez néanmoins qu'il y aura toujours des personnes nées pour diriger et d'autres nées pour exécuter les ordres. Les idées nouvelles font peur et vous m'en voyez navré. Dois-je toutefois être responsable de toutes les mauvaises actions de ce monde » ? répondit le jeune homme dans une vaine tentative d'argumentation.

Eléanor voyait rouge. Ce chevalier avait l’audace de se montrer irrespectueux alors même qu'il avait besoin de son aide pour trouver son chemin.

« Voilà, Monseigneur des paroles bien graves. Sur ce, je me retire et vous laisse à votre désarroi.  Je vous souhaite de ne jamais trouver votre chemin ». dit Eléanor.

« Vous ne savez pas qui je suis n'est-ce pas ? » répondit le jeune homme qui commençait à s'agacer.

« Il me semble que vous ignorez mon identité également. Et comme tel est le cas, nous sommes quittes. Une bonne journée à vous ».

« Attendez voyons. Nous ne pouvons pas nous quitter sur une telle entrevue. Permettez-moi de me racheter une conduite ».

Eléanor ne répondit pas et partit d'un pas décidé vers le faubourg. Cet homme lui avait gâché sa journée et elle espérait ne plus jamais le revoir. La jeune fille était en avance sur temps et souhaitait que les autres se rendent compte des injustices qui régnaient dans les royaumes. L'inconnu lui avait prouvé qu'une égalité entre tous était encore loin d'être acquise. Le jeune homme resta pantois de cette conversation. Jamais il n'avait rencontré quelqu'un d'aussi passionné et encore moins une femme. Dans son royaume des Terres blanches, beaucoup trouvaient suffisant la couture, la lecture et les soieries. Cette jeune femme ne ressemblait en rien aux femmes de sa cour. Voilà qui promettait d'être intéressant pour le reste de son séjour à Camelot. Il n'oubliait cependant pas qu'Arthur Pendragon avait besoin de lui. Néanmoins, il souhaitait connaître cette dame qui maniait si bien le verbe et dont les yeux avaient un pouvoir qu'elle ne soupçonnait sans doute pas. Remontant sur son cheval, il suivit la direction empruntée par Eléanor. A son tour, il se retrouva dans le faubourg de Camelot. Il fut saisi par les couleurs des tissus que vendaient les commerçants, par les odeurs de pain et de grain moulu, par la vie qui émanait de cet endroit. Les enfants couraient dans les rues, le boulanger interpellait les passants. Plus loin, on entendait les coups du forgeron sur des épées et des haches. Le chevalier traversa ainsi les rues de Camelot et se rendit dans la cour du château. Il s'annonça et précédé par un serviteur, il fut emmené auprès du roi. Quand ce dernier le vit, une émotion palpable entre les deux hommes se fit ressentir. Godefroy, prince des Terres Blanches et Arthur Pendragon, roi de Camelot, étaient amis depuis de si longues années que les liens qui les unissaient étaient indéfectibles.

« Mon ami, quel plaisir de te revoir » dit Arthur tout de go.

« Arthur, il semblerait que tu aies besoin de mon aide. Quel effet cela fait de devenir roi d'un si grand royaume ? »

« J'ai le sentiment de ne pas être prêt et pourtant la conviction d'accomplir quelque chose de plus grand que moi ».

« Je ne sais pas encore ce que tu ressens mais assurant la régence, je ne peux qu'entrevoir un pouvoir qui me dépassera ».

« C'est exactement cela. Je veux être un roi différent de mon père : être plus proche de mon peuple et comprendre leurs difficultés ».

« En voilà de sages paroles. Tu as bien changé cher Arthur. Où était le temps où nous nous battions attendant que nos pères décident de l'avenir de leur royaume ? »

« Nous avons grandi Godefroy, tout simplement. A notre tour de décider de l'avenir de nos peuples ». 

Chapitre 4 : la paix en héritage

Arthur avait trouvé le moyen d'assurer la paix avec les Cornouailles tout en gardant son indépendance. En aucun cas, il ne pouvait détruire une alliance créée par son arrière-grand-père. Les liens entre les deux royaumes étaient forts et il devrait toujours en être ainsi. Godefroy approuvait son idée même s'il considérait que la tâche serait ardue pour la mettre en œuvre. Toutefois, il était persuadé que cela ne pouvait être que bénéfique pour Camelot. Le roi fit appeler son cousin dans ses appartements. Arthur était quelque peu soucieux : cette entrevue qui s'annonçait allait changer le cours des choses. Gabriel arriva dans l'appartement du roi. Il ne se doutait nullement de ce qui l'attendait.

« Arthur, tu as demandé à me voir ? »

« Gabriel, te voilà. Approche, je dois m'entretenir avec toi d'une affaire importante ».

« De quoi s'agit-il ? » demanda Gabriel.

« Comme tu dois le savoir, le roi Gelhard des Cornouailles souhaite conserver l'alliance qui unit nos royaumes. En tant que nouveau roi de Camelot, je dois m'engager à garder la paix intacte. Il souhaite ainsi qu'un mariage soit scellé pour officialiser le renouvellement du traité. Néanmoins, je ne peux penser à un mariage alors que d'autres responsabilités m'incombent. C'est pour cela que j'ai fait appel à toi mon très cher cousin ».

« Je ne vois pas où tu veux en venir et quel rôle je dois jouer » dit Gabriel.

« J'ai retourné la situation dans tous les sens et j'en suis arrivé à la conclusion suivante : je ne peux décemment pas refuser la proposition de Gelhard sans risquer de déclencher une animosité de sa part. C'est pourquoi j'ai pensé à toi. Il est temps pour toi d'envisager de monter sur le trône à la suite de ton père. Tu es prêt, je crois, à assurer les fonctions qui te sont dues. De plus, une union avec la princesse des Cornouailles ne ferait que renforcer ton pouvoir. Gabriel, je souhaite que tu épouses la Princesse Susan. Qu'en penses-tu ? »

Gabriel écarquillait les yeux et regardait son cousin comme si ce dernier était possédé. Il ne répondit rien et pourtant il savait qu'Arthur attendait une réponse. C'était le roi qui s'était adressé à lui et non le cousin.

« Gabriel ? »

« Je dois t'avouer que je ne m'attendais pas à cela. Je n'ai jamais songé au mariage et encore moins à prendre le trône de mon père. Je suis trop jeune pour me marier Arthur et tu auras besoin de moi sur les champs de bataille. Et, me semble-t-il, Gelhard souhaitait unir sa fille avec toi et non avec moi ».

« Il ne sera nullement contre une union avec ton royaume. Nous sommes cousins et alliés, nos royaumes sont liés comme s'ils n'en formaient qu'un. Pour les Cornouailles, cela sera une aubaine ».

« Arthur, je ne suis pas prêt. Je suis désolé mais je refuse que tu te serves de moi pour servir tes propres intérêts » dit Gabriel avec agacement.

«Tu te comportes comme un enfant mais tu ne me laisses pas le choix. Tu épouseras la princesse Susan. Je suis ton roi et tu dois faire ce que je t'ordonne. La discussion est close ».

« Effectivement, la discussion est close : je ne marierai pas, ni maintenant, ni jamais ! »

Gabriel sortit précipitamment des appartements d'Arthur. Il se dirigea en courant vers les écuries, monta sur son cheval et s'en alla au galop vers la forêt. Arthur le regarda s'enfuir de la fenêtre de sa chambre. Il ressentait le désarroi de son cousin mais il avait espéré que ce dernier comprendrait son choix. Pourtant, quoi qu'il lui en coûterait, cette union devrait avoir lieu. Le roi sortit à son tour. Il devait s'entretenir avec Lisa. Elle seule pouvait débloquer la situation. Il la trouva dans la bibliothèque du château. Elle donnait des cours d’écriture à des enfants du faubourg. Le roi de Camelot avait toujours admiré la dévotion et l'indépendance de sa cousine.  Elle était tellement plus courageuse que lui et pourtant si modeste. Il l'observa un moment : elle prenait du temps avec chaque enfant, écoutait et expliquait les choses avec douceur. En sa présence, chacun se sentait unique. Elle termina sa leçon et les enfants s'en allèrent. Arthur put alors se manifester. La princesse Lisa remarqua immédiatement son air grave.

« Que se passe-t-il Arthur ? » demanda Lisa tout de go.   

« Je sors à l'instant d'une discussion avec Gabriel et cela ne s'est pas passé comme je l'avais prévu. Je croyais qu'il arriverait à comprendre ma position ».

« De quoi avez-vous parlé ? »

« J'ai évoqué avec lui la proposition de Gelhard concernant l'union de sa fille avec moi. Je pense que dans l'intérêt de tous, une union entre Gabriel et la princesse Susan serait des plus avantageuses. Il n'a pas compris qu'il est temps pour lui de prendre ses responsabilités.

« Arthur, permets-moi de te dire que tu es un idiot ».

« Pourquoi dis-tu cela ? »

«Arthur, tu ne peux pas forcer quelqu'un à faire quelque chose dont tu ne veux pas toi-même. Tu te veux être un roi bon et compatissant et tu imposes des choses à ton propre cousin.  Gabriel est plus fragile que tu ne le crois et tu te dois d'être un modèle pour lui. Tu ne peux pas être quelqu'un de bien pour tes sujets et être tyrannique avec mon frère ».

«Lisa, j'ai besoin que tu arranges la situation ».

«Je suis navrée Arthur mais cette fois tu vas devoir gérer le problème tout seul. Tu ne peux pas faire appel à moi dès qu'un problème te paraît insurmontable surtout en ce qui concerne mon frère.  Tu es intelligent, tu sauras quoi faire pour que chacun y trouve son compte ».

Lisa sortit de la bibliothèque et laissa son cousin. Arthur ne savait que faire. Il était tiraillé entre son devoir de roi et l'affection qu'il portait à Gabriel. La situation semblait désespérée d'autant plus que le roi Gelhard et sa cour devaient venir à Camelot afin de prononcer les vœux de mariage. Le roi de Camelot allait devoir se montrer ingénieux pour que la paix demeure. Sans attendre une nouvelle discussion avec son cousin, il fit envoyer une missive au roi Gelhard pour lui faire part de sa proposition. Être roi n'était décidément pas de tout repos.

Le royaume était en ébullition. Les servantes s'affairaient dans les chambres ; les cuisines étaient remplies de victuailles. Les armures avaient été polies, les épées aiguisées. Les couturières avaient préparé des robes et des costumes somptueux pour les gens de la cour. La venue du roi et de la reine de Cornouailles était un événement qu'aucun sujet de Camelot ne souhaitait manquer.  Le faubourg était encore plus animé qu'à l'accoutumée. Gabriel n'avait pas revu Arthur depuis leur discussion mais il ne décolérait toujours pas. C'était lui le roi, c'était à lui de se marier pour assurer la paix et non à lui. Intégrer le conseil était une chose, se marier et monter sur le trône de son propre royaume en était une autre. Découragé, il scella son cheval : galoper lui faisait du bien, lui permettait de mettre ses idées en ordre. Il prit une fois encore la direction de la forêt. Il aimait cet endroit, les arbres le protégeaient, le soleil perçait de ses rayons les chênes centenaires, les animaux vivaient paisiblement. Il galopa vers les prairies, au pied d'une montagne. Il huma l'air pour mieux s'en imprégner. Il se sentait minuscule face à ce géant de pierre. Il ferma les yeux et ses parents s'imposèrent à son esprit. Son père, aussi valeureux qu'Uther, lui dirait d'obéir à Arthur, de faire ce que l'on attendait de lui, d'un prince de sang. Sa mère lui dirait d'écouter son cœur et son instinct. Elle le serrerait dans ses bras, lui chanterait une douce musique et son cœur s'en trouverait apaisé. Malheureusement, ils n'étaient plus là. Il n'y avait plus que Lisa. Gabriel était plongé dans ses pensées et sursauta quand il entendit des bruits de pas marteler le sol. Il ouvrit les yeux et aperçut un cavalier filer à vive allure vers Camelot. Celui-ci était poursuivi par deux autres hommes, sans doute des soldats. Tirant sur les rênes de son cheval, il s'engagea dans la même direction. Gabriel était un excellent cavalier et n'eut aucun mal à rejoindre les trois hommes. Les deux soldats avaient dégainé leur épée. Ils virent alors arriver Gabriel.

« Que se passe-t-il soldats ? »

« Cela ne vous regarde en rien, Monseigneur »

« Il me semble que si : vous vous trouvez sur mes terres, je suis en droit de vous demander pourquoi vous tenez en joue ce cavalier. Alors, je vous prie de me répondre ».

« Votre Majesté, pardonnez-nous. Nous ne voulions pas vous importuner sur vos terres, mais nous devons ramener cette personne en lieu sûr ».

« Je vois. Quel crime avez-vous commis chevalier ? »

- Mon seul crime a été de vouloir conserver ma liberté ! » répondit le cavalier.

Il retira son casque et prit de court Gabriel. C'était une jeune fille aux cheveux blonds comme les blés, aux yeux verts comme l’émeraude. Des yeux emplis de colère et de passion.

« Princesse Susan, je vous en prie. Laissez-nous vous ramener auprès de vos parents. Venez à Camelot et vous en rediscuterez avec leurs Majestés ».

« Princesse Susan des Cornouailles ? »

« Roi Arthur, je suppose. Celui-là même qui impose un mariage pour conserver son trône. Quel roi êtes-vous donc pour décider de l'avenir de deux personnes sans leur consentement ? »

« Je crains que nous ne fassiez erreur ».

« Peu m'importe que vous soyez d'accord avec moi, je tiens à conserver ma liberté ».

« Vous êtes plutôt directe, Princesse Susan. C'est une qualité rare chez les jeunes femmes aujourd'hui. Vous êtes bien courageuse pour vous adresser à moi de la sorte. »

Les deux jeunes gens n'eurent pas le temps de terminer leur conversation que déjà la délégation toute entière arrivait à vive allure sur les terres de Camelot. Susan donna l'ordre à son cheval de la rejoindre non sans avoir lancé un regard plein d'amertume à Gabriel. Les deux soldats la suivirent abaissant la tête en signe de respect au jeune prince. Gabriel retourna également vers le château, triple galop dans les sabots. Cette jeune princesse lui avait offert un sentiment nouveau : l'espoir.

Arthur et Lisa attendaient sur les marches du château. Les trompettes avaient sonné l'arrivée des souverains des Cornouailles. Les gens de la cour s'étaient alignés pour former une haie d'honneur. Les Cornouailles étaient un royaume fort et ami de longue date : de tels honneurs ne pouvaient que leur être rendus. On vit d'abord les étendards, puis bientôt des hommes à cheval et des manants à pied. Les Cornouailles en imposaient. Gelhard descendit de son cheval, un magnifique percheron à la robe grise. C'était un homme qui avait de la prestance tout en étant bienveillant. Il n'était pas grand, plus large à dire vrai, mais il avait su s'imposer avec respect. Il avait des cheveux gris légèrement bouclés sur le bas de la nuque, ses yeux, gris eux aussi, étaient perçants et reflétaient une intelligence rare. Gelhard était connu pour son rire franc et ses boutades à répétition. C'était un bon vivant qui prenait le temps de vivre chaque moment comme quelque chose d'extraordinaire. Il s'approcha d'Arthur et lui donna une franche accolade. Le roi de Camelot était pour lui encore cet enfant qui s'amusait à rendre folles les nourrices. Il salua chaleureusement la Princesse Lisa avec la même affection. Au diable le protocole, les amis avant tout. La reine des Cornouailles s'avança à son tour. Plus réservée que son époux, elle n'en était pas moins appréciée de ses sujets. Elle avait la taille fine, de longs cheveux blonds, des yeux verts et un port altier. Nul doute qu'Ellayne avait tout d'une grande reine. Elle vint serrer dans ses bras les deux souverains.

« Amis des Cornouailles, bienvenue au royaume de Camelot. Que votre séjour parmi nous soit des plus chaleureux. Vous êtes nos invités. Que cette rencontre entre nos deux royaumes scelle à jamais notre amitié et le respect que nous nous vouons mutuellement ».

« Roi Arthur, Princesse Lisa, nous vous remercions de cette invitation. Soyez assurés de notre sympathie envers vous. Permettez-moi de vous présenter ma fille, Susan ».

La fougueuse princesse descendit de son cheval. Arthur remarqua de suite son tempérament de feu. Lisa était enchantée de la tournure que prenaient les événements. Tout comme son frère, cette princesse ne semblait aucunement prête à se marier. Son cher cousin allait devoir mener deux fronts en même temps. Pourtant, elle sembla déstabilisée, elle ne reconnaissait pas le jeune homme qu'elle avait croisé dans les bois. Elle s'avança vers le roi et fit la révérence.

« Roi Arthur, je suis enchantée de faire votre connaissance ». dit-elle d'un ton caustique.

« Il en va de même pour moi Princesse Susan. Laissez-moi vous présenter à mon tour la Princesse Lisa, ma cousine. C'est elle qui vous guidera durant votre séjour à Camelot ».

« N'hésitez pas à venir me voir si quelque chose vous manque ou vous tracasse, j'essaierai de vous aider de mon mieux ».

Gelhard et Arthur se dirigèrent vers la salle du conseil et furent rejoint par Godefroy. Ils devaient discuter des pactes à reformer. La reine des Cornouailles et sa fille se rendirent dans les appartements qui leur avaient été alloués. Elles étaient accompagnées de Lisa.

Cette dernière se montrait charmante mais sa bonne humeur ne sembla pas déteindre sur la princesse. Elle semblait réellement en colère et triste. Des servantes s'occupèrent de mettre de l'ordre dans les bagages des invitées. Eléanor avait dû s'absenter, son père étant malade. La reine Ellayne demanda à Lisa de l'accompagner dans les rues du faubourg : le voyage avait été long et elle souhaitait se dégourdir les jambes, tout en ayant une discussion avec son hôte. Les deux femmes partirent donc en promenade.

« Votre cousin semble prendre ses responsabilités très à cœur, il a beaucoup mûri depuis notre dernière rencontre ».

« C'est vrai, Arthur a grandi, mais il a encore parfois besoin de se remettre en question. Être roi n'est pas chose aisée ».

« Parlez-vous de l'alliance entre Camelot et les Cornouailles ? »

« Je sais que cette alliance est de la plus haute importance, mais je sais aussi que mon frère aurait aimé pouvoir décider de son mariage lui-même et je crois que c'est aussi le cas de votre fille, votre majesté ».

«Susan a des rêves plein la tête et elle est persuadée qu'elle peut les réaliser mais elle a des responsabilités et elles passent avant ses envies ».

«Ne pourrait-on pas faire en sorte que Gabriel et Susan deviennent amis, nous aurions tout à y gagner s'ils s'entendaient bien ».

« Vous avez sans doute raison »répondit la reine Ellayne pensivement.

Susan enrageait dans ses appartements. Elle ne voulait pas se marier. Et ce roi de Camelot : pour qui se prenait-il pour décider de sa vie ? Elle devait empêcher le mariage et elle savait très bien comment s'y prendre. Elle sortit de sa chambre et se dirigea vers les écuries. Gabriel de Kovir s'y trouvait sûrement. Elle marcha d'un pas assuré, peaufinant mentalement les détails de son plan. Gabriel lui aussi ruminait et en même temps se trouvait enchanté des événements à venir. Sa rencontre avec Susan avait été la chose la plus réjouissante de sa journée. Il fallait qu'ils deviennent alliés pour mettre fin à cette union ridicule. Il repensait à tout cela quand Susan entra dans les écuries : il la trouva belle mais se garda bien de le lui dire.

« Ni vous ni moi ne souhaitons nous marier. Unissons-nous pour y mettre un terme » déclara tout de go Susan.

« Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme vous, hormis peut-être la suivante de ma sœur, Eléanor ».

« Je ne suis pas certaine de comprendre ».

« Je crois que si. Vous êtes passionnée et déterminée. Vous tenez tête à quiconque ose vous soumettre. Comme Eléanor ».

« Vous semblez très proche d'elle. Il me tarde de la rencontrer : il est si rare de trouver des femmes qui assument ce qu'elles sont ».

« Je ne suis pas proche d'elle comme vous le pensez. Nous sommes plus dans une relation fraternelle. Nous nous chamaillons très souvent ».

« Peu importe. Nous devons contrer la décision de votre cousin ».

« Princesse Susan, mon cousin souhaite assurer la paix. Ce n'est pas un tyran comme vous semblez le croire ».

« Ne me dites pas que vous vous êtes rangé à son avis ? Ne voyez-vous pas que c'est un opportuniste qui cherche à profiter de la réputation de mon père ? »

Susan avait élevé la voix, ses yeux lançaient des éclairs. Jamais Gabriel n'avait vu une femme exprimer ainsi sa colère. Lui non plus ne pouvait se résoudre à se marier, il voulait vivre sa vie, parcourir des aventures mais avoir une telle femme à ses côtés reviendrait à vivre une grande aventure, tant elle était déterminée à garder son indépendance. Il devait la contenir avant qu'elle ne provoque un incident diplomatique. Et lui qui se croyait têtu, ça n'était rien à côté de cette beauté des Cornouailles. Il reprit la parole et adopta un ton sévère, enfin le pensait-il.

« Vous devenez offensante, Princesse. Prenons les choses comme elles se présentent et avisons en temps voulu. Je pense que vous et moi pouvons faire des étincelles si nous unissons nos forces avec ingéniosité. Allons faire un tour de cheval,  nous pourrons faire connaissance et devenir acteurs des événements à suivre ».

« Voilà une idée des plus plaisantes » répondit Susan avec un large sourire, un sourire empli d'espoir.

Chapitre 5 : duels de cœurs

Cela faisait maintenant trois jours que les souverains des Cornouailles séjournaient à Camelot. Arthur voulait être un hôte parfait et proposa un tournoi. Rien de tel que des combats entre chevaliers pour enthousiasmer les esprits. Pour pimenter le concours, Godefroy, prince des Terres Blanches, suggéra que chaque participant se batte pour une demoiselle. Arthur et Gelhard reçurent cette proposition avec intérêt, espérant ainsi que Gabriel choisisse Susan. Godefroy espérait revoir la jeune femme de la forêt. Il ne l'avait pas revue depuis leur entrevue et il lui tardait de connaître son identité. Les chevaliers de Camelot et des Cornouailles furent nombreux à s'inscrire. Arthur, Godefroy et Gabriel en faisaient partie. Gelhard essayait de convaincre sa femme qu'il était encore capable de se battre dans un tournoi. Lisa et Eléanor n'étaient pas plus enchantées à l'idée de ce tournoi. Pour elles, il ne s'agissait là qu'une démonstration de virilité. Les hommes faisaient preuve de violence et d'individualisme pour essayer de gagner le cœur d'une dame. Elles trouvaient cela barbare. Néanmoins, toutes deux reconnaissaient que les tournois étaient l'occasion de réunir les souverains et leurs peuples.

Les tournois de Camelot étaient réputés pour leur diversité : tournoi de joutes, à l'épée, activités pour les enfants, présentations des mets les plus savoureux. Chacun s'amusait, conversait. C'était là le moment de faire connaître le royaume et d'étendre sa culture au-delà des frontières. Les deux jeunes femmes étaient en pleine conversation lorsqu’Arthur frappa à la porte des appartements de sa cousine.

« Eléanor, Lisa, le bonjour »

« Arthur, quel plaisir de te voir. Qu'est ce qui t'amène de si bon matin ? »

« J'aimerais que tu sois ma dame pour le tournoi. L'idée de Godefroy était excellente mais depuis trois jours, toutes les jeunes femmes à marier me courent après. En te choisissant toi, je ne risque pas de froisser aucune d'entre elles »

« Tu as toujours eu les bons mots pour faire fondre le cœur d'une femme, mon cher Arthur ».

« Excuse ma maladresse, Lisa. Je ne voulais pas être désagréable ».

« Ce n'est rien. Soit, je serai ta dame pour le tournoi » dit Lisa avec malice.

« Oh Lisa, tu me sauves la vie. D'ailleurs, sais-tu si Gabriel a choisi sa prétendante ? »

« Je n'ai pas vu mon frère depuis hier. Pose-lui la question, tu seras fixé ».

« Tu as raison, j'y vais de ce pas ».

Arthur adressa un signe de tête à Eléanor et sortit des appartements de sa cousine. Les deux jeunes femmes ne purent se retenir de rire. Arthur, le grand roi de Camelot, terrifié devant des femmes, cela avait de quoi faire sourire. Eleanor termina de préparer Lisa avant de prendre congé. Cette dernière se rendit dans la bibliothèque royale, une dame du faubourg lui avait demandé une audience. Eléanor alla retrouver son père dans les écuries royales. Lorsqu'elle entra, les écuries étaient vides. Gontrain avait dû emmener le cheval d'Arthur se promener. Elle revint sur ses pas lorsqu'une personne la percuta.

« Je vous prie de m'excuser » dit Eléanor.

« Ne vous en faites pas, ce n'est rien ».

Eléanor repartit mais quelque chose la retint. Elle retourna donc dans les écuries. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant la princesse Susan tenter de prendre une armure qu'un chevalier de Camelot avait laissée par inadvertance. Cette dernière se rendit compte de la présence d'Eléanor alors qu'elle s'apprêtait à retourner dans ses appartements.

«Vous m'avez fait peur ! »

«Je vous prie de m'excuser madame, ce n'était pas mon intention. Y-a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? »

« Je n'ai pas besoin d'aide, je me promène simplement ».

« Il y a tellement de beaux endroits à explorer dans ce royaume, les écuries royales ne sont pas représentatives de la beauté des lieux ».

« Qui êtes-vous pour me dire ce que je dois visiter ou non? Je suis la princesse Susan des Cornouailles, l'invitée du roi Arthur. S'il me plaît d'être dans les écuries, je n'ai nul compte à vous rendre ».

« Soit, je vous laisse à vos occupations. Permettez-moi simplement de vous dire ceci : cette armure est trop grande pour vous. Vous trouverez peut-être votre bonheur dans l'armurerie du château. Bonne journée à vous » dit Eléanor avec agacement.

Susan n'eut pas le temps de répondre que déjà Eléanor était sortie. Cette dernière était contrariée. Encore une fois, elle s'était trouvée confrontée à une personne hautaine et irrespectueuse : cela devenait une habitude. Pour se calmer, elle alla voir Eabha avant de retourner s'occuper de la princesse Lisa.

Godefroy revenait des entraînements lorsqu'il percuta Eléanor. Le plateau qu'elle portait se renversa avec tout son contenu. Godefroy fit tomber son bouclier. Le bruit du métal sur le sol emplit le couloir.

« Madame, vous ici ».

« Monseigneur, permettez-moi d’écourter cette conversation, je suis pressée ». dit Eléanor en ramassant son plateau.

« Êtes-vous encore fâchée contre moi ? »

« Je ne peux pas changer l'opinion des gens Monseigneur. La vôtre a été on ne peut plus claire ».

« Vous me jugez donc sur une première impression : cela ne ressemble en rien à l'image que je m'étais faite de vous ».

« Et bien Monseigneur, je ne suis pas parfaite. Maintenant, si vous voulez bien m'excusez, je suis en retard ».

« Attendez, je ne connais toujours pas votre nom ».

Il n'eut pas de réponse, Eléanor était déjà partie. Godefroy voulait savoir qui était cette jeune femme qui lui faisait tourner la tête. Il emprunta le chemin qu'elle avait pris quelques minutes auparavant. Des voix lui parvinrent des appartements de la princesse Lisa. Il s'approcha discrètement et surprit la conversation de la jeune femme.

« Eléanor, je m'inquiétais ».

« Je suis navrée Madame, j'ai chuté dans le couloir et mon plateau est tombé. Je vous prie de m'excuser ».

« Ce n'est rien voyons. Tu ne t'es pas fait mal au moins ».

« Tout va bien, je vous remercie. Avez-vous besoin d'autre chose princesse Lisa ? »

« Tu sembles contrariée Eléanor, que se passe-t-il ? »

« Pardonnez-moi Madame, j'ai eu une nuit agitée. Je vais retourner à mon travail, si vous le voulez bien ».

« Si tu ne te sens pas bien, prends ton après-midi, je pourrais me débrouiller sans toi. Si quelque chose ne va pas, tu sais que tu peux me parler, nous sommes amies après tout ».

Eléanor ne répondit pas, prit les draps et sortit des appartements de Lisa. Godefroy se cacha pour ne pas être aperçu d'Eléanor. Elle passa près de lui sans le voir. Le prince alla frapper à la porte de Lisa.

« Entrez »

« Lisa, je ne te dérange pas j'espère »

« Godefroy, quel plaisir, entre, entre donc »

Le prince des Terres Blanches vint s'asseoir auprès de Lisa. Celle-ci posa son livre et attendit que Godefroy lui dise l'objet de sa venue.

« Lisa, je suis venue te voir pour te parler d'une chose particulière ».

« Je t'écoute, de quoi s'agit-il ? »

« Qui était la jeune femme qui est sortie de tes appartements ? »

« Il s'agit d'Eléanor, ma servante. Pourquoi me demandes-tu cela ? »

« C'est une servante ? »

« La meilleure. Elle est dotée d'une rare intelligence et a des idées très novatrices, nous avons une relation forte, basée sur une vraie amitié, bien plus que celle d'une servante et d'une princesse ».

« Sais-tu si elle a un fiancé ? »

« Pourquoi me demandes-tu tout cela ? Y-a-t-il quelque chose que tu ne me dis pas ? »

« Nous nous sommes rencontrés dans les bois, juste avant mon arrivée à Camelot. Je m'étais égaré et je l'ai entendue chanter. Nous avons eu une conversation et je l'ai fâchée. J'ai eu des mots qui ne lui ont pas plus. C'est à cause de moi qu'elle était aussi en retard ce matin, nous nous sommes percutés dans le couloir et encore une fois je l'ai contrariée. Je ne sais vraiment pas m'y prendre avec elle ».

« Que lui as tu dis pour qu'elle t'en veuille autant ? Eléanor est douce mais animée par ses principes ».

« Il se peut que je lui aie dit qu'Arthur ne pouvait pas se mélanger au peuple en raison de son rang ».

« Je comprends sa colère alors. Il va falloir te racheter dans ce cas ».

« J'ai été maladroit, je le reconnais. Cela ne m’était jamais arrivé de me montrer impoli encore moins envers une dame. Dis-moi comment je dois m'y prendre pour qu'elle me voie différemment ? »

« Montre-lui que tu es un profond humaniste, tu as les mêmes idées qu'elle. Eléanor est fougueuse et parfois impulsive mais elle entendra tes arguments s'y tu t'y prends correctement. Elle ne se laisse pas facilement amadouer ».

« Je vais la choisir comme dame pour le tournoi. J'espère qu'elle pardonnera mes propos. Merci de ton aide, Lisa. Tu m'as été d'une aide précieuse. Arthur a de la chance de t'avoir auprès de lui ».

« Je suis l'éternelle confidente ».

« Oh Lisa, tu es bien plus que cela tu le sais bien. Tu es intelligente, bienveillante et proche de ton peuple. Tu ferais une reine remarquable ».

« Encore faut-il qu'un roi veuille de moi, Godefroy ».

« Je ne doute pas de cela, mon amie ».

Godefroy prit la main de Lisa et la serra d'un geste tendre. Il s'en alla ensuite pour rejoindre le roi Arthur. Il n’oublia pas les paroles de la princesse. Il s'efforcerait de faire sourire la belle Eléanor aux yeux de feu.

Le jour du tournoi approchait à grands pas. Les festivités se préparaient activement pour que ce jour marque les esprits. Tous pensaient aux activités qui auraient lieu ainsi qu'au grand festin mais Arthur et Gelhard n'en oubliaient pas ce pourquoi Camelot et les Cornouailles devaient s'unir. Une nouvelle alliance de paix devait être signée, sans oublier que le mariage de Gabriel et Susan devrait être célébré. Le roi Gelhard avait accueilli la proposition d'Arthur avec enthousiasme. Le royaume d'Arthur et celui de Gabriel formaient une unité, un tout qui état profitable aux Cornouailles.

Cependant, Gelhard connaissait bien sa fille. Susan était fougueuse, indépendante et fière. Elle avait soif d'aventures. Être une femme lui pesait parfois mais en même temps, elle avait une volonté sans limite de faire changer les choses et sa condition. Gelhard aimait sa fille plus que tout au monde mais il était roi et devait aussi assurer l'avenir de son royaume. Il voulait que chacun dans cette alliance y trouve son compte et il y arriverait. Il songeait à cela en prenant son déjeuner avec ses hôtes. Le silence régnait dans la salle à manger. Ni Arthur, ni Gabriel, ni Gelhard ou Godefroy et encore moins Susan ne parlaient.  Seules Lisa et Ellayne tentaient d'animer la conversation mais aucun des convives n'y prêtait attention, tous trop absorbés par leurs propres pensées. Gabriel rompit le silence en quittant la table. Il s'excusa auprès de ses invités et sortit du château pour aller s'entraîner.  Susan sortit à son tour, bientôt suivie par son père et Arthur. La reine Ellayne prit congé à son tour, laissant la princesse Lisa seule. Le roi des Cornouailles souhaitait s'entretenir avec Gabriel. Il le trouva une épée à la main, s'acharnant sur un pantin d’entraînement. Des éclats de paille volaient un peu partout tant les coups du jeune homme étaient puissants.

« Quelle rage ! Qu'a pu faire ce pauvre pantin pour vous mettre dans une telle colère ? »

« Roi Gelhard, que puis-je faire pour vous ? »

« Vous êtes impétueux, Gabriel. C'est à la fois un défaut et une qualité. Vous me faites penser à moi ».

« Sauf votre respect, Majesté, je crains de ne pas être d'accord. Vous vous pliez à des règles qui sont dépassées. Quand je serai roi, j'écouterai ce que les autres ont à dire ».

«La politique est complexe. Nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons, vous l'apprendrez bien assez vite.  Je ne suis pas votre ennemi Gabriel, tout comme votre cousin. Nous cherchons simplement à protéger nos royaumes ».

« En imposant un mariage ? A deux personnes qui ne souhaitent pas s'unir ?»

« Il faut faire des sacrifices, être roi ne veut pas dire avoir tous les avantages. L'amour est un luxe auquel nous ne pouvons prétendre, il vient avec le temps ».

« Imaginez alors ce qu'il adviendrait si nous ne nous entendions jamais avec votre fille. Nous sommes farouchement attachés à notre liberté et notre indépendance, l'un comme l'autre. Croyez-vous sincèrement que cette union arrangera vos affaires à Arthur et vous ? »

« Il est vrai que Susan est fougueuse et fière mais je crois justement que vous lui conviendrez parfaitement parce que vous ne l'enfermerez pas dans un rôle qui ne lui convient pas. Je crois que vous vous comprenez plus que vous ne le pensez ».

« Majesté, je vous remercie de cette conversation, mais je dois continuer mon entraînement ».

« Pourquoi ne pas nous entraîner ensemble ? »

« Je risquerai de vous blesser, roi Gelhard »

« Ne vous en faites pas pour moi, je suis plus robuste que j'en ai l'air, prince Gabriel».

« Si vous insistez... »

Susan cherchait Eléanor. Elle voulait s'entretenir avec elle car elle avait senti qu'elles pourraient devenir alliées. Elle ne voulait en aucun cas se justifier de son comportement dans les écuries mais avait monté un plan ingénieux pour le tournoi. Eléanor faisait partie de ce plan. La jeune fille se trouvait avec Eabha. Cette dernière lui avait demandé de lui amener des plantes pour préparer des onguents et des remèdes.  Elles étaient en pleine discussion lorsque Susan frappa à la porte des appartements du médecin.

« Entrez ».

« Vous êtes Eabha, le médecin de la cour, n'est-ce pas ? »

« C'est exact, que puis-je faire pour vous princesse Susan ? »

« J'aimerai parler à Eléanor, puis-je vous l'emprunter quelques instants ? »

« Je n'ai plus besoin de son aide ».

« Je dois retrouver la princesse Lisa pour préparer le tournoi, pouvons-nous nous retrouver un peu plus tard ? » dit Eléanor.

« Bien sûr, quand vous serez disponible, pouvez-vous me retrouver dans mes appartements ? »

« Entendu ».

Eléanor retrouva la princesse Lisa et toutes deux récapitulèrent le déroulement du tournoi. La journée commencerait par un discours d'Arthur et de Gelhard. Ensuite, il y aurait des jeux, des mini-spectacles pour les enfants, de la danse, des lancers de bûches et des troubadours joueraient de la musique. Des victuailles seraient distribuées tout au long de la journée. En début d'après-midi, le tournoi des chevaliers débuterait et le gagnant serait célébré au cours d'un grand repas dans la grande salle du château.  Les cuisiniers avaient été prévenus de ce qu'ils devaient préparer, les troubadours avaient composés des chansons pour célébrer Camelot et les Cornouailles. Dans les rues du royaume, des lampions et des fanions avaient été accrochés. Tout le monde faisait en sorte que cette journée d'amitié entre dans les mémoires. Eléanor prit congé de la princesse Lisa et partit retrouver la princesse Susan. Elle frappa à la porte des appartements de cette dernière.

« Entrez, entrez »

« Madame, que puis-je faire pour vous aider ? »

« J'ai besoin de vous, vous connaissez le château, ses moindres recoins, vous connaissez ses habitants. Mon père pense pouvoir régir ma vie mais je ne suis pas de cet avis. J'ai cru comprendre que vous aussi, vous aspiriez à plus de justice ».

« Je ne vois pas en quoi mes opinions peuvent vous aider, Majesté ».

« Je vais participer au tournoi mais sans vous, je ne peux pas y arriver ».

« Au tournoi ? Vous voulez prendre part à la mêlée ? »

« Exactement. Je sais me battre, mon père m'a appris. J'ai été élevée dans les Cornouailles, je ne suis pas une petite princesse toute fragile ».

« Ce n'est pas comme cela que l'on vous qualifie, je vous assure».

« Je l'espère » dit Susan en souriant.

« J'aime bien l'idée d'une femme dans un tournoi. Dites-moi de quoi vous avez besoin ».

« J'ai besoin d'une armure, d'un cheval, de prendre un blason, peut-être celui d'un des hommes de mon père, je m'occuperai de cela. J'ai aussi besoin d'une diversion. Demain, avant le début du tournoi, je dirai à mes parents que je ne me sens pas bien et que je dois rentrer m'allonger. Je demanderai à vous avoir auprès de moi pour rentrer au château. Nous irons dans une des tentes dédiées aux chevaliers et je me préparerai. Il me suffira ensuite de remporter le tournoi ».

« Je vois que vous avez déjà pensé à tout. Permettez-moi juste une chose : avez-vous pensé à ce qu'il se passera lorsque vos parents ou le roi Arthur découvriront ce que vous avez fait ? »

« Aimeriez-vous être forcée d'épouser quelqu'un que vous ne connaissez pas, que vous n'aimez pas sous le seul prétexte de garantir les intérêts d'un royaume ? »

« Je suis d'accord avec vous mais vous avez aussi des devoirs en tant que princesse. Et je connais Gabriel. C'est un garçon sérieux et sincère mais ne lui répétez jamais cela, Majesté, il serait trop content d'apprendre que je le défends. Je ne sais pas qui vous êtes princesse Susan mais si vous me le permettez, d'après le peu que j'ai vu de vous, il semblerait que vous ayez plus de points communs avec Gabriel que vous le souhaiteriez ».

« J'ai réfléchi à tout cela soyez- en certaine. Je ne veux pas de guerre, je veux ma liberté.  Vous ne me ferez pas changer d'avis, Eléanor ».

« Je n'y comptais pas. Je vous aiderais demain, Majesté. Permettez-moi de prendre congé de vous, il y a encore beaucoup de choses à préparer ».

« Merci Eléanor, merci pour tout ».

Eléanor sortit. Elle était complètement déroutée par la tournure que prenaient les événements. La princesse Susan était plus déterminée que jamais à empêcher son mariage avec Gabriel. Eléanor admirait le courage de la princesse mais savait aussi qu'il fallait éviter toute catastrophe. Elle retourna voir Eabha car elle serait la seule qui pourrait la conseiller.

« Eabha, je dois te parler ».

« Eléanor, que se passe-t-il ? »

La jeune fille lui raconta les plans de Susan et son implication à elle dans cette histoire. Elle comprenait les désirs d'indépendance de la princesse mais elle aimait le royaume de Camelot, ce royaume qui était sa maison.

« Mon enfant, je crains que tu ne puisses pas convaincre la princesse de changer ses plans mais tu pourrais parler à Gabriel. Ce que je vais te dire doit rester entre nous, Eléanor ».

« Bien entendu ».

« Depuis que la princesse est arrivée au château, il n'a plus d'insomnies, il me l'a dit. Il m'a parlé de Susan, brièvement, mais il m'a dit qu'elle était audacieuse et forte. Il semble que cette jeune femme lui chamboule quelque peu l'esprit, bien que lui aussi soit en désaccord complet avec ce mariage.  Gabriel est intelligent, il sait ce que représente l'alliance des Cornouailles avec Camelot. Je suis persuadée qu'une histoire est possible entre Gabriel et Susan est possible. Tu dois faire en sorte de les réunir ».

« Mais je ne suis qu'une servante, je ne peux réussir une telle chose ».

« Tu es bien plus que cela Eléanor. Tu ignores ce dont tu es capable ».

« Que veux-tu dire ? »

Eabha n'eut pas le temps de lui répondre, le boulanger vint la chercher en urgence car sa femme était en train de mettre leur enfant au monde. Tandis que le médecin s'en allait, Eléanor rentra chez elle, retrouver son père.

Le lendemain, Eléanor fut autorisée à prendre sa journée. L'organisation du tournoi était quasiment terminée et Lisa n'avait plus besoin de son aide. Elle partit avec son père faire une balade à cheval et tous les deux prirent la direction de la tombe d'Eanna. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés tous les deux, le tournoi accaparait tout leur temps. Leurs chevaux galopaient à vive allure, le vent faisait voler les beaux cheveux d'Eléanor. Elle se sentait bien, apaisée. Avoir son père auprès d'elle lui procurait une joie immense. Leur complicité était réelle et forte. Gontrain était un homme généreux et bienveillant.

« Oh père quelle belle journée. Cela faisait une éternité que nous n'avions pas galopé ensemble ».

« Tu as raison ma fille. Depuis qu'Arthur est roi, le royaume est en ébullition, il y a tant de choses à faire. Je suis navré de ne pas pouvoir t'accorder plus de temps ».

« Nous sommes tous les deux bien occupés. Profitons au maximum de cette journée. Faisons la course : le dernier arrivé au grand chêne s'occupe des chevaux pendant 2 semaines ».

« Chérie, je m'occupe déjà des chevaux » dit Gontrain en riant.

« Je sais père mais je parlais de nettoyer les écuries ».

« Dans ce cas, je te souhaite bon courage ».

Le père et la fille élancèrent leur monture à travers les bois. Ils étaient aussi rapides que le souffle du vent, aussi puissants que le coup de lame d'une épée. Pourtant, malgré les efforts de Gontrain, Eléanor était plus rapide. Elle battit son père haut la main, qui arriva tout essouffler au grand chêne.

« Veux-tu faire mourir ton vieux père ».

« Tu m'as laissé gagner » répondit Eléanor.

« Autrefois peut être mais cette fois je t'assure que tu l'as emporté en toute honnêteté ».

Ils mirent pied à terre, laissèrent leurs chevaux reprendre des forces et tous deux se dirigèrent vers la stèle de marbre blanc. Ils ne dirent plus un mot. Ils se recueillirent en silence, Gontrain serrant Eléanor contre lui. Leur émotion était palpable. Eanna leur manquait. Gontrain aurait aimé que sa femme voit comment Eléanor était devenue plus belle, plus intelligente. Il aurait tant souhaité que les choses soient différentes. Heureusement pour lui, la sorcière noire n'était plus et Eléanor n'avait pas hérité des pouvoirs de sa mère.

« Elle me manque tant »

« Elle me manque à moi aussi, ma fille. Mais n'oublie jamais, Eléanor, ta mère t'as aimé du plus profond de son être, tu as été le plus beau cadeau que la vie lui ai fait. Tu lui ressembles beaucoup : tu as son courage et sa détermination. Je sais que de là où elle se trouve, elle est très fière de toi ».

« Merci, père. Merci d'avoir été là, de m'avoir laissé vivre mes propres aventures, d'avoir cru en moi ».

« Comment aurait-il pu en être autrement ? Je suis ton père, je ne veux que ton bonheur ».

Ils laissèrent un bouquet de pivoine près de la stèle et remontèrent en selle. La journée passa, ils discutèrent de tout et de rien, du château, des préparatifs du tournoi, de la possible union de Gabriel et Susan. Sur ce point, ils se trouvèrent en désaccord mais chacun admit que l'autre avait un point de vue envisageable. Eléanor comprenait Susan et Gabriel tandis que Gontrain apportait son soutien à Arthur.

« S'il tient tant à cette union, pourquoi ne se marie-t-il pas lui-même ? »

« Il a beaucoup de choses à remettre en place. Il veut apporter un nouveau souffle au royaume. Perdre son père n'a pas facile et devenir roi encore moins. Il doit réécrire les alliances, prendre possession de son royaume. Un mariage lui compliquerait les choses ».

« Ne crois-tu pas que cela complique la vie de Gabriel ? »

« Il y a longtemps que le père de Gabriel est décédé, son royaume a besoin d'un roi lui aussi. Il a les épaules solides pour reprendre le trône. Il a été éduqué pour devenir roi, Eléanor. Il savait que ce jour viendrait. Le moment est opportun pour qu'une nouvelle ère s'ouvre avec Arthur et Gabriel ».

« Il aurait pu au moins lui demander son avis, étudier les propositions de Gabriel. Il n'a pas été juste, père ».

« Je reconnais que la méthode n'était pas la bonne mais, tu verras, les choses vont s'arranger ».

« Nous verrons cela ».

Ils étaient arrivés dans le faubourg et tous deux descendirent de leur monture. Ils ramenèrent les chevaux dans les écuries. Comme Gontrain avait perdu la course, il fut convenu qu'il nettoierait les écuries le lendemain. Eléanor brossait son cheval lorsque Godefroy entra à son tour dans les écuries. Il aperçut Gontrain mais ne remarqua pas la jeune fille.

« Gontrain, bonjour à vous ».

« Prince Godefroy, quelle bonne surprise ».

« Dites-moi, Gontrain, vous connaissez tout le monde dans ce château ? »

« Et bien, je connais beaucoup de personnes effectivement. Pourquoi cette question ? »

« Je cherche une jeune femme, la servante de la princesse Lisa. J'ai à lui parler ».

« Eléanor ? A-t-elle fait quelque chose de mal ? »

« Vous la connaissez ? »

« Bien sûr que je la connais, c'est ma fille ! »

« Votre fille ? »

« Oui. Puis-je savoir ce que vous lui voulez ? »

« Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous paraître grossier. Rassurez-vous, elle n'a rien fait. C'est plutôt moi qui ai été maladroit Je voulais m'excuser auprès d'elle ».

« Que lui avez-vous fait ? »

« Et bien j'ai eu des propos malheureux et je l'ai mise en colère ».

« Je vous souhaite bien du courage dans ce cas, prince Godefroy. Lorsque ma fille est en colère, il faut du temps et de la patience pour se faire pardonner ».

« C'est ce que j'ai cru comprendre ».

« Et bien je vous laisse à vos problèmes, mon ami. A ce soir, ma fille ». dit Gontrain, un grand sourire aux lèvres, en retournant dans sa forge.

Godefroy, se retourna, un peu penaud. Il ne pensait pas qu'Eléanor se trouvait dans les écuries.

« Que me voulez-vous encore, prince Godefroy ? »

« Vous êtes directe, Eléanor ».

« Cela vous pose-t-il un problème ? »

« Voyons Eléanor, je ne suis pas aussi misogyne que vous semblez le croire »

« Vraiment ? »dit Eléanor ironiquement.

« Cela suffit. Je voulais m'excuser de mes propos. Il est vrai que je n'ai pas donné une bonne première impression et je m'en excuse. Je ne suis jamais comme cela d'ordinaire. Vous avez le don de faire ressortir mes pires défauts ».

« Vous m'en voyez navrée. Avez-vous terminé ? Je dois retourner travailler ».

« Je sais que cela n'est pas vrai. Lisa m'a dit qu'elle vous avait octroyé une journée de repos. Eléanor comment puis-je me faire pardonner ? J'ai envie de vous connaître et de vous montrer qui je suis réellement. Je ne veux pas repartir de Camelot en sachant que je suis haï par la plus mystérieuse des demoiselles ».

« Je ne vous hais pas. Vous m'agacez. Et croyez bien que moi aussi je suis plus réservée d'ordinaire. Il semble que nous ne soyons pas faits pour nous entendre, voilà tout. Quant à vous faire pardonner, sachez que j'apprécie votre démarche ».

Eléanor commença à s'éloigner mais Godefroy la retint.

« S'il vous plaît, accordez-moi une faveur. Permettez que je combatte pour vous durant le tournoi. Si je perds, vous aurez le droit de penser tout ce que vous souhaiterez de moi, de ne plus me parler et de détester si cela vous plaît mais si je gagne, vous accepterez un rendez-vous avec moi ».

« Vous savez que je suis une servante, que vous être un prince. N'avez-vous pas peur des commérages, de ce que l'on pourrait dire sur vous ? Avez-vous pensé à la réaction du roi Arthur ? »

« Je me fiche de ce que les gens pensent ».

« Et bien pas moi. Je ne veux pas être le sujet de toutes les conversations ».

« Je vous pensais au-dessus de tout cela ».

« Soit, j'accepte votre proposition. J'espère simplement que vous perdrez » dit Eléanor en lui lançant un regard noir.

Godefroy, lui était content. Il avait enfin obtenu quelque chose de cette jeune femme si passionné. Le tournoi promettait définitivement d'être des plus intéressants.

Gabriel repensait à la discussion qu'il avait eue avec Susan. Ils devaient faire front commun pour empêcher cette union. Ils devaient néanmoins faire semblant de s'entendre pour ne pas ruiner tous les efforts de Gelhard et d’Arthur. Gabriel devait au moins cela à son cousin : il était comme son frère, Arthur avait permis d'apaiser le deuil de ses parents. Il alla chercher la princesse pour lui faire part de sa proposition. Il la trouva dans la bibliothèque royale.

« Princesse Susan puis-je vous parler ? »

« Bien sûr ».

« Nous avions déjà discuté qu'il fallait que nous nous soutiendrions dans la situation qui est la nôtre. J'aimerais vous proposer quelque chose qui satisferait mon cousin et vos parents et qui nous permettrait de nous soutenir l'un et l'autre ».

« Je vous écoute ».

« Acceptez de devenir ma dame pour le tournoi, faisons ce que tout le monde désir ».

Susan ne répondit pas. Elle repensait au plan qu'elle avait mis en place avec Eléanor. Si elle acceptait la proposition de Gabriel, elle se compromettait. Cependant, il lui offrait son soutien dans cette union qu'elle ne souhaitait. Eléanor avait vu juste : Gabriel était quelqu'un de bien.

« C'est une proposition intéressante. Je l'accepte ».

« Nous resterons libres princesse Susan, je vous le promets ».

Chapitre 6 : un tournoi décisif

Vint le jour du tournoi. Le royaume était en ébullition, les enfants couraient dans tous les sens, les peuples de Camelot et des Cornouailles se réunissaient sous la même bannière de l'amitié. Comme la princesse Lisa l'avait prédit, des jeux furent organisés durant tout le matin. Les chevaliers de Camelot étaient prodigieux, ceux des Cornouailles, remarquables. Les forces étaient équivalentes. Le lancer de bûches avait beaucoup fait rire, certains joueurs en avaient reçu sur leur tête. Chaque personne profitait de sa journée, les gens se mêlaient entre eux, bien que les grands seigneurs ne se mélangeaient pas à la foule. Seuls le roi Arthur, ses cousins et les souverains des Cornouailles évoluaient parmi les invités, du plus humble de leur sujet au plus noble chevalier. Eléanor évoluait elle aussi parmi ses amis et les invités, s'assurant que tout le monde s'amusait. La princesse Susan resta dans son coin, elle voulait se battre et ne pas participer à toute cette mascarade. L'heure de la mêlée approcha et comme elle l'avait prévue, la princesse Susan dit à ses parents qu'elle ne se sentait pas bien.

« Père, Mère, je vais me retirer dans mes appartements, je ne me sens pas bien ».

« Ne peux-tu pas rester au moins jusqu'au début de la mêlée ? » lui dit Gelhard.

« Vraiment, non, j'ai des douleurs à la tête et la nausée ».

« Alors dans ce cas, va te reposer. As-tu besoin de quelque chose ? » lui demanda sa mère.

« Pouvez-vous demander à ce que la servante de la princesse Lisa m'accompagne, on dit qu'elle est d'une compagnie agréable, cela vous rassurera de ne pas me savoir seule ».

« Bien sûr, je vais la faire chercher de ce pas » répondit Ellayne.

On partit donc chercher Eléanor tandis que Susan se dirigeait déjà vers le château. Elles se rejoignirent en prenant soin de ne pas se faire remarquer. Elles prirent la direction des tentes. Godefroy, qui se préparait au tournoi, les vit se rendre dans l'un des chapiteaux d'un chevalier des Cornouailles. Il trouva cela étrange et les suivit, en faisant lui aussi attention, de ne pas se faire repérer par les deux jeunes femmes.

« Merci Eléanor, cette armure est parfaite. Où l'avez-vous trouvée ? »

« Mon père est le forgeron du royaume, je lui ai empruntée. Tenez, votre épée. Je vais vous aidez à vous habiller ».

«Je voulais m'excuser auprès de vous. Lors de notre première rencontre, vous ne m'avez pas vue sous mon meilleur jour, je ne voulais pas paraître grossière ».

« Ce n'est rien, je n'ai nullement à vous en tenir rigueur. Voilà, vous êtes prête. Êtes-vous certaine de vouloir faire ce tournoi ? »

« Je suis plus certaine que jamais ».

Godefroy n'en revenait pas : la princesse Susan allait participer au tournoi. Cela provoquerait sûrement des problèmes. Il ne voulait pas en parler à Arthur, sans quoi l'alliance serait remise en jeu mais, il pouvait en parler à Gabriel afin qu'il fasse attention à la princesse. Il s'empressa d'aller le trouver dans sa tente.

«Gabriel, puis-je te parler ? »

« Bien sûr »

« La princesse Susan veut participer au tournoi et je t'assure qu'elle semble décidée ».

« Mais, comment a-t-elle pu arriver à faire cela ? »

« Eléanor l'a aidée à mettre en place ce plan ».

« Cela ne m'étonne pas, elles se ressemblent beaucoup. Penses-tu que nous devons l'arrêter ? »

« Ce n'est pas à moi d'en décider, Gabriel. Elle est censée devenir ta future épouse, c'est à toi de mesurer l'impact de sa participation dans le tournoi ».

« Tu as raison et en réfléchissant bien, je pense que je ne vais rien dire. Je veux voir comment elle se débrouille et jusqu'où elle peut aller ».

« Tu as l'air de l'apprécier plus que tu ne veuilles bien l'admettre, je me trompe ? »

« J'apprécie son courage et son ardeur, il est vrai. Jamais une femme n'avait été aussi fière, aussi indépendante, aussi indomptée. Hormis peut-être ma sœur ou Eléanor. La princesse Susan mérite qu'on lui laisse sa chance ».

« Si telle est ta décision, je la respecte ».

« Allons-y mon ami, nos spectateurs nous attendent ».       

La princesse Lisa s'adressa à la foule.

« Amis des Cornouailles et de Camelot. Quel beau spectacle que celui de la réunion de nos deux peuples. Aujourd’hui, nos plus valeureux guerriers vont s’affronter dans un tournoi, mêlant force et ruse, courage et détermination. Ce tournoi doit sceller l'amitié de nos peuples et entretenir les liens qui nous unissent. Chevaliers, rendez-nous fiers, combattez avec votre cœur ».

Le roi des Cornouailles prit à son tour la parole.

« Mes amis, quelle fierté pour moi de voir notre alliance se perpétuer. Chevaliers, offrez-nous un beau spectacle, soyez-dignes de vos peuples. Que le tournoi commence ! »

Les chevaliers se mirent en rang devant les souverains. La reine Ellayne lança un mouchoir blanc, signifiant le début du tournoi. Celui-ci commença par l'épreuve des cerceaux. Tous les chevaliers montrèrent leur agilité mais tous ne parvinrent pas à attraper tous les anneaux. Susan se démarqua largement des autres de même qu'Arthur, Gabriel et Godefroy. Les spectateurs étaient enchantés des démonstrations qui s'offraient à eux. Plusieurs chevaliers furent éliminés. Le tournoi continua avec la mêlée. Les chevaliers allèrent donc se préparer pour la suite. La princesse Susan revint à sa tente pour se désaltérer.

« Vous vous en êtes bien sortie, Majesté » lui dit Eléanor.

« Je ne me suis jamais autant amusée, Eléanor. Je me sens vivante ».

« Oui, vous avez l'air heureuse. La mêlée va bientôt commencer, vous sentez-vous prête pour cette nouvelle épreuve ? »

« Plus que jamais ! »

Eléanor tendit un casque à Susan. Cette dernière sortit de la tente, monta sur son cheval et ferma un court instant les yeux. Quelle allégresse d'être là pensa-t-elle. On lui donna une épée et comme les autres chevaliers, elle s’engagea vers la piste. Gabriel observa la princesse et sourit. Plus le séjour des souverains des Cornouailles se prolongeait et plus l'idée de se marier avec cette fougueuse jeune femme ne lui déplaisait plus. Il admirait son courage et espéra secrètement qu'elle irait le plus loin possible dans le tournoi. Les participants se positionnèrent en deux lignes, l'une en face de l'autre. Ils attendirent le signal. Un coup de trompette les avertit du début de la mêlée et les spectateurs virent s'élancer les chevaliers et leur monture. Toutes les personnes présentes scandaient le nom de leur champion et Eléanor priait les fées d'épargner la jeune Susan.

« Roi Gelhard, dites-moi, connaissez-vous le chevalier qui porte l'écusson vert aux armes de votre royaume ? » demanda Lisa.

« C'est étrange, ce sont les armoiries du chevalier Harold mais il n'est pas là. Il est resté en Cornouailles avec son épouse qui doit accoucher d'ici peu. Je ne sais donc pas de qui il s'agit. Néanmoins, il se bat avec force et courage. Je ne manquerais pas de me quérir de son identité à la fin du tournoi ».

Lisa était perplexe. Quelque chose dans l'attitude du chevalier lui rappelait une personne qu'elle connaissait mais elle ne savait pas qui. Quelque chose se tramait et elle était déterminée à comprendre ce que c'était.

La princesse Susan était loin des pensées de la princesse Lisa. Son bras était comme armé par les fées et les elfes. Elle envoyait valser tous ceux qui se dressaient devant elle. Les chevaliers qui s’approchaient d'elle étaient éjectés de leur cheval. Bientôt, il ne resta plus que six chevaliers dont Arthur, Gabriel, Godefroy et Susan. Les deux autres chevaliers étaient de la maison des Cornouailles. Il devait n'en rester qu'un qui serait déclaré vainqueur du tournoi. Tous voulaient ce titre et tous se démenaient pour rester en scelle. Arthur et Gabriel firent tomber les chevaliers des Cornouailles. Seule Susan représentait encore son royaume, Godefroy ayant choisi de porter les armoiries de Camelot. Arthur élimina Godefroy. Le roi de Camelot se fit ensuite éliminer par son cousin. La foule était en liesse. Le spectacle était époustouflant. Gabriel savait qu'il combattait face à Susan mais il ignorait si elle connaissait son identité. Il voulait garder la face en combattant dignement mais il ne voulait pas blesser la princesse non plus. Cette dernière était plus enragée que jamais. Elle voulait gagner ce tournoi pour prouver sa valeur, pour montrer qu'elle pouvait prendre sa vie en mains.

Les chevaliers se jaugeaient. Les chevaux étaient nerveux tant la tension était palpable. La poussière des précédents combats s'élevait dans l'air. Susan et Gabriel suffoquaient. La princesse Susan lança la première attaque. Elle fit ruer son cheval et dégaina son épée. Elle frappa l'armure de Gabriel qui poussa un cri de douleur. Il contra la deuxième attaque et tenta de déstabiliser Susan. C'est à ce moment-là que cette dernière comprit qui était son adversaire. Elle reconnut les yeux de Gabriel, ce regard droit qui le caractérisait tant. Susan marqua un temps d'arrêt, étant surprise de se retrouver en combat singulier face à Gabriel. Celui-ci comprit à l'attitude de la princesse qu'elle l'avait reconnu. Les spectateurs attendaient, le temps était comme suspendu, les souverains des Cornouailles et de Camelot étaient impatients de connaître l'issu du combat. Arthur qui avait rejoint les tribunes avec Godefroy se demandait qui combattait face à Gabriel. Les gestes du chevalier inconnu étaient précis, puissants, son épée fendait l'air comme le vent bouscule les arbres dans une tempête. Susan reprit le combat profitant du manque d'attention du prince. Il en fut tellement étonné qu'il fut désarçonné de son cheval. La princesse des Cornouailles descendit de sa monture, s'approcha de Gabriel et le menaça de son épée. Il retira son casque. Susan attendait qu'il se soumette mais il n'en fit rien. Il récupéra son épée et s'engagea dans un nouveau combat face à Susan. Les coups pleuvaient, le fer des épées provoquait des étincelles. Il malmena Susan, la poussant dans ses derniers retranchements. Pour autant, la princesse ne lâchait rien. Elle voulait gagner et qu'importe si cela devait ridiculiser Gabriel. Aussi, elle puisa dans ses dernières forces et assena un coup si violent au jeune homme que celui-ci s'effondra presque inerte. Le spectacle avait été époustouflant, les applaudissements étaient sincères. Susan s'approcha de Gabriel qui était à bout de souffle et lui tendit la main. Il la saisit et se releva aussi dignement que ses douleurs le lui permirent. Gelhard et Arthur, impressionnés, prirent tour à tour la parole afin de féliciter le champion du tournoi.

 « Quel beau spectacle, Messires ! Vous avez admirablement bien combattu. Je suis d'autant plus fier que les Cornouailles ont prouvé leur valeur au très estimé royaume de Camelot ».

« Roi Gelhard, croyez en ma sincérité lorsque je vous dis que c'est l'un des plus beaux tournois auxquels il m'a été donné de participer ».

« Champion, vous ne vous êtes pas encore découvert. Faites nous l'honneur de vous féliciter comme il se doit » intervint la reine Ellayne.

Gabriel observa discrètement Susan et la vie se tendre. Il intervint alors en faveur de la princesse.

« Mes seigneurs, vous ne nous voyez pas sous notre meilleur jour. Profitons plutôt du banquet pour laisser au champion le loisir de porter de plus beaux atours ».

« Et bien soit. Qu'il en soit ainsi » répondit Arthur.

Les chevaliers retournèrent vers leurs tentes. Eléanor attendait Susan. Cette dernière entra et elle enleva son casque. Elle put enfin respirer. Néanmoins, Susan et Eléanor n'eurent pas le temps de célébrer la victoire de la princesse qu'elles virent débarquer Gabriel et Godefroy.

« Puis-je savoir ce qui vous est passée par la tête ? Vous voulez déclencher une guerre entre nos deux royaumes ? »

« Que faites-vous ici, Prince Gabriel ? »

« Je pourrais vous posez la même question ! » dit Gabriel d'une voix forte. Par chance, les clameurs qui s'élevaient encore des gradins avaient caché le haussement de sa voix.

« Princesse Susan, s'il vous plaît, nous devons parler. »

« Et de quoi, je vous prie ? »

« De tout ceci, de votre participation au tournoi ! »

« Comment avez-vous su que je faisais partie des chevaliers de la mêlée ? »

« Je vous ai aperçu avec Eléanor au début du tournoi et j'ai surpris votre conversation » intervint Godefroy.

« Et pourquoi n'en avez-vous pas parlé à Arthur ? Vous pensiez peut-être que je ne resterai pas longtemps au sein de la mêlée, en tout cas pas assez longtemps pour être démasquée ?!»

« Loin de moi cette idée, Princesse Susan. Au contraire, je crois en vous, c'est pour cela que je n'en ai parlé qu'avec Gabriel ».

« Et toi Eléanor, pourquoi risques-tu ta place ainsi ? Crois-tu que l'aider t'apportera plus de respect ? » reprit Gabriel.

« Je crois au combat de la princesse Susan. Je pensais que vous seriez le plus à même de comprendre ce qu'elle ressent ».

« Vous auriez dû m'en parler ! Toutes les deux ! ».

« Et risquer de détruire votre relation avec Arthur. Je suis contre un mariage arrangé mais je ne souhaite pas briser vos liens avec votre cousin, Gabriel ».

« Je vais me retirer à présent, vos majestés. Princesse Susan, faites-moi appeler si vous avez besoin de moi » dit Eléanor.

« Je te remercie Eléanor. Nous nous verrons plus tard ».

« Je vous laisse également » dit Godefroy.

Tandis que Godefroy et Eléanor retournaient vers le château, Gabriel et Susan reprirent leur conversation.

« Avant que vous ne m’inondiez une fois encore de reproches, laissez-moi parler. Si vous jugez ensuite que je ne vous ai pas convaincu, je vous laisserai tout raconter à mon père et à votre cousin ».

Gabriel fit signe à la princesse qu'il l'écoutait.

« Le mariage n'est qu'un leurre. Il ne sert qu'à emprisonner les femmes et à rendre les maris infidèles. J'ai entendu des choses horribles sur le mariage. Des femmes coincées dans les manoirs ou les châteaux, incapables d'être maîtresses de leur destin. Je sais que mes parents ne s'aimaient pas lorsqu'ils se sont mariés, l'amour est venu avec le temps n'ont-ils cessés de me répéter. Ce n'est pas ce que je souhaite. Je veux être libre, libre d'aimer, libre de choisir mon époux. Je veux qu'on me laisse faire de longues balades à cheval, je veux qu'on me laisse manier les armes et non que l'on m'oblige à faire du tricot. Me marier avec quelqu'un que je n'aime pas serait comme me tuer, me tuer lentement... Je sais que les femmes n'ont que peu de droits, qu'elles doivent obéir à leur père mais je ne peux m'y résoudre alors que le mien m'a appris à être honnête et en particulier avec moi-même ».

Susan s'assit et osa enfin regarder Gabriel dans les yeux. Elle craignit de l'avoir blessé alors qu'il avait toujours été si gentil avec elle. Gabriel s'assit à son tour et regarda Susan. Il garda le silence pendant un moment. Dehors on entendait les spectateurs, villageois et nobles, parler du tournoi. Ils refaisaient les combats, admirant tous la beauté des gestes.

« Je comprends votre point de vue, Princesse. Et je vous rejoins sur beaucoup de choses ».

« Je croyais pourtant que vous pensiez que le rôle des femmes était d'obéir. Vous ne portez pas la gente féminine dans votre cœur depuis la mort de votre mère ».

Gabriel haussa les sourcils d'un air surpris et Susan s'empressa de justifier ses propos.

« Les serviteurs parlent beaucoup, je suis désolée d'avoir évoqué votre mère, je n'aurais pas dû ».

« C'est vrai, il fut un temps où je considérais les femmes comme inférieures aux hommes. J'étais influencé par les paroles de mon père et par mes camarades de jeux. J'ai changé en voyant ma sœur prendre des responsabilités, prendre la défense des plus démunis et devenir maîtresse de sa vie. J'ai vu le regard des gens changé la concernant, ils la respectent et prennent en compte ses opinions. Votre présence au château m'a conforté dans l'idée que les femmes sont bien plus coriaces qu'on ne le pense ». Il ponctua sa phrase d'un sourire chaleureux. Il reprit la parole.

« En ce qui concerne votre participation au tournoi et notre mariage, nous pouvons passer outre ces deux difficultés, si bien sûr vous consentez à me faire confiance ».

« Je vous écoute avec attention » dit la Princesse Susan.

 

Eléanor était retournée d’un pas décidé vers le château. Godefroy avait insisté pour l'accompagner. Il voulait comprendre pourquoi elle avait aidé la Princesse Susan. Il voulait la comprendre elle, en réalité, pour mieux cerner son caractère. Eléanor ne prêtait aucune attention au chevalier des Terres Blanches. Elle se pressa pour retrouver Lisa. Cette dernière devait sûrement la faire appeler auprès d'elle.

Une servante vint lui confirmer sa pensée alors que Godefroy et elle arrivaient dans la cour du château. Eléanor s'empressa de monter les escaliers menant aux appartements de la princesse de Camelot. Godefroy la retint.

« Eléanor je dois vous parler ».

« Plus tard peut-être, la Princesse Lisa m'attend ».

« Eléanor, j'aimerai comprendre quelles étaient vos motivations ».

« Pourquoi ?  Je ne suis qu'une servante » répondit Eléanor d'un ton de défi.

« Vous savez que vous êtes bien plus que cela !»

Godefroy avait élevé la voix, il était presque menaçant. Son excès de colère avait fait sortir Lisa de ses appartements.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle ?

« Oui, excuse-moi, j'ai parlé un peu fort ».

« C'est ce que j'ai entendu. Y-a-t-il un problème entre vous ? » reprit-elle en regardant Eléanor d'un air songeur.

« Il n'y a rien, je vous retrouve plus tard Eléanor » dit Godefroy d'un air agacé.

Lisa regarda Godefroy s'en aller tandis qu'Eléanor entrait dans les appartements de la Princesse. Quand celle-ci revint vers la jeune fille, son regard était interrogateur et elle ne put se retenir de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Que se passe-t-il Eléanor avec le Prince Godefroy des Terres Blanches ? Et ne me ment pas, je suis ton amie, je sais qu'il se passe quelque chose ? »

« Et bien, hum...nous avons eu une petite discussion et il se trouve que nous n'étions pas d'accord, voilà tout ».

« Je vois, es-tu certaine de ne rien oublier ? »

« Je vous assure, ma dame, j'irai voir le Prince Godefroy dès mon service terminé pour clarifier la situation ».

« Bien. Dis-moi, comment se porte notre princesse des Cornouailles ? » dit Lisa en changeant de sujet.

« Oh elle se repose. Je pense qu'elle pourra être présente au festin de ce soir. Comment était le tournoi ? »

« Tu me connais, je ne suis pas une adepte des démonstrations de force mais ce tournoi-là valait vraiment le coup d'être vu. Celui qui a gagné mérite son titre de champion ? »

« De qui s'agit-il ? » demanda Eléanor d'un ton innocent.

« C'est là tout le mystère. C'est un chevalier des Cornouailles mais le roi Gelhard m'a dit que le porteur du blason était resté dans le royaume. Quelqu'un lui a donc emprunté ses armoiries. Le champion dévoilera son identité au banquet ».

« Avez-vous besoin de quelque chose d'autre en particulier, Madame ? »

« Je voulais simplement des nouvelles de Susan, je te libère. J'espère que ta relation avec Godefroy s'arrangera, c'est quelqu'un de bien Eléanor » dit Lisa le regard plein de malice.

Eléanor ne répondit rien et sortit. Elle se dirigea vers les cuisines où son aide avait été requise pour préparer le festin.

Susan était revenue dans ses appartements. L'euphorie du tournoi lui avait fait oublier son excuse auprès de ses parents. Elle s'était souvenue qu'elle était censée être dans sa chambre et avait essayé de se faire la plus discrète en revenant au château. Une fois encore, elle avait pu compter sur Gabriel qui lui avait fait emprunter un passage secret menant à ses propres appartements. Elle s'était débarrassée de son armure et Gabriel l'avait caché sous son lit. Il était sorti afin de faire diversion. Susan s'était ensuite faufilée vers le couloir menant à sa chambre. Elle vit ses parents se diriger dans sa direction mais un chevalier des Cornouailles les interpella. Susan eut juste le temps d'entendre le chevalier leur demander s'ils savaient qui était le champion du tournoi. Elle réussit à atteindre son lit et se glissa sous les draps. Ses parents frappèrent alors à la porte de sa chambre et entrèrent.

« Ma fille, comment te sens tu ? »

« Mieux, Père je vous remercie »

« Tu as l'air essoufflée, Eléanor, es-tu certaine que tu vas bien ? »

« Rassurez-vous, Mère, j'ai eu un sommeil quelque peu agité. Comment était le tournoi. Qui a gagné ? »

« Oh le tournoi était fabuleux ! Les combats étaient exceptionnels et nos chevaliers ont fièrement combattu, si bien combattu que c'est l'un des nôtres qui l'a emporté sur Gabriel de Camelot ! »

« Et de qui s'agit-il ? »

« Nous l'ignorons » répondit la reine Ellayne.

« Comment cela est-il possible ? »

« Notre champion a tenu a gardé son identité secrète, il la dévoilera au banquet ».

« Seras-tu avec nous ce soir ? » demanda Ellayne à sa fille.

« Bien sûr, Eléanor doit venir m'aider à me préparer ».

« Très bien, nous te laissons dans ce cas » lui dit Gelhard.

« A tout à l'heure ma chérie ».

Le banquet avait été ouvert à tous comme cela avait été le cas pour le couronnement du roi Arthur. Chacun s'était paré de sa plus belle tenue, les femmes étaient élégamment vêtues, les hommes portaient leur épée d’apparat. Tout le monde passait une excellente soirée. Les conversations allaient bon train. Toutes tournaient autour du tournoi, les gens essayant de savoir qui était le champion. Gabriel songea qu'il était de temps de parler au roi Gelhard et à son cousin. Il était nerveux et quelques gouttes de sueur perlaient sur son visage. Pourtant, il savait qu'il devait aller au bout de son idée : Susan comptait sur lui et il ne voulait pas la décevoir.  Il s'excusa auprès de ses compagnons de table et se dirigea vers le roi Arthur, qui était en grande conversation avec la reine Ellayne.

« Arthur, pourrais-je te parler ? »

« Bien sûr, de quoi s'agit-il ? »

« C'est une affaire privée, j'aimerai qu'on s'entretienne ailleurs qu'ici ».

« Tu m'as l'air bien sérieux, est ce que tout va bien? »

« Oui » dit Gabriel d'un ton qu'il se voulait enjoué.

« Je te suis. Reine Ellayne, si vous voulez bien m'excuser. Nous continuerons notre conversation, j'aimerai que vous me parliez encore de ma mère » dit Arthur.

« Avec plaisir, mon garçon » répondit la reine des Cornouailles avec un regard plein de bienveillance.

« Va dans la bibliothèque, je te prie, je dois aller chercher le roi Gelhard »

« Et bien d'accord ».

Gabriel alla donc chercher le souverain et les trois hommes prirent la direction de la bibliothèque royale. Gelhard regardait Gabriel, intrigué. Une fois arrivé, Arthur et Gelhard s'assirent dans des fauteuils, attendant que Gabriel prenne la parole et leur dise pourquoi ils les avaient pris à part du banquet. Il inscrivit un message sur un bout de parchemin et fit appeler un serviteur à qui il remit le message. Il se tourna ensuite vers son cousin et son prétendu futur beau-père et se décida enfin à parler.

« Comment avez-vous trouvé le tournoi, roi Gelhard ? » dit-il de but en blanc.

« Et bien fort intéressant, je dois l'avouer. Il y a eu des rebondissements très appréciables. Pourquoi cette question ? Et pourquoi me demander cela à l'écart des autres convives ? »

« Et toi Arthur, que penses-tu du chevalier qui a remporté le tournoi ? » reprit Gabriel en oubliant volontairement de répondre aux questions de Gelhard.

« Il se bat bien, même très bien. Je regrette qu'il ne fasse pas partie de mes chevaliers » dit Arthur en adressant un sourire à son homologue des Cornouailles. « Mais où veux-tu en venir, Gabriel, par la barbe de Merlin ? »

« Je sais de qui il s'agit ».

« De qui parlez-vous ? » reprit le roi Gelhard.

« Le vainqueur du tournoi, je sais de qui il s'agit » répéta Gabriel dont les yeux s'étaient soudainement baissés sur ses chaussures.

« A la bonne heure. Dites-nous tout ! » s'écria Gelhard.

Gabriel n'eut pas besoin de répondre : la princesse Susan venait de faire son apparition dans la bibliothèque. Le prince leva les yeux sur elle et la même pensée lui revint : elle était époustouflante. Il se ressaisit, la beauté de la princesse Susan n'était pas le sujet qui le préoccupait pour le moment.

« Princesse Susan, que faites-vous ici, avez-vous besoin de quelque chose ? » demanda Arthur.

« Arthur, roi Gelhard, je vais vous demander de me laisser exposer ce qui va suivre sans que vous m'interrompiez. Une fois que j'aurais terminé, vous aurez tout le loisir de poser toutes les questions que vous voudrez ».

Susan s'approcha de Gabriel et s'assit près de lui. Elle évitait soigneusement de regarder son père qui lui ne cessait de fixer sa fille.

« Je vous ai dit que je connaissais le champion du tournoi. Je vais vous dire de qui il s’agit. Toutefois, j'aimerai vous dire quelques mots avant. J'ai beaucoup réfléchi à tout ce qui s'est passé et notamment à la conversation que nous avons eue tous les deux, Arthur ».

Arthur se redressa dans son fauteuil, l'air visiblement intéressé.

« Je maintiens ce que j'ai dit : je ne veux pas d'un mariage arrangé et je ne souhaite pas rendre une femme malheureuse, en l’occurrence la princesse Susan. Je veux que vous sachiez que j'ai à cœur les intérêts de Camelot, du royaume de mon père et des Cornouailles ».

Il adressa un sourire à Gelhard et continua son argumentaire.

« Je ne vais pas vous dire que j'ai grandi et mûrit d'un coup de baguette magique mais j'ai beaucoup réfléchi et je sais aujourd'hui ce que je veux. Ce qui m'amène à vous révéler le champion du tournoi.  Vous devez une fois encore me promettre de ne pas m'interrompre ».

Arthur et Gelhard firent un signe de tête approbatif, impatients de connaître la suite.

« Sachez seulement que je n'ai jamais vu un chevalier se battre avec autant de fougue et de passion et pour cela il a tout mon respect, bien qu'il m’ait battu. Messieurs, laissez-moi vous présenter notre champion ».

Il s'avança vers Susan et lui tendit la main. Elle la saisit et se leva pour faire face au roi Arthur et au roi Gelhard.

« Je crains de ne pas comprendre » dit Gelhard.

« Je crois au contraire que c'est limpide » dit Arthur en lançant des regards furieux à Gabriel.

« C'est votre fille qui a remporté le tournoi » reprit Arthur.

« C'est impossible ! » répondit Gelhard.

« Pourquoi cela, père ? » rétorqua Susan.

« Comment aurais-tu fait ? »

Il n'attendit pas la réponse de sa fille et se tourna à nouveau vers Arthur.

« Oh mon cher Arthur, je suis navré, vraiment ».

« Ne le soyez pas. Attendons de savoir ce que ces deux jeunes gens ont encore à nous dire, car je suis persuadé que leur histoire n'est pas terminée ».

« Nous sommes prêts à faire des efforts quant à l'alliance que vous envisagez de construire si vous consentez à en faire de votre côté. Nous avons des propositions à vous faire et je pense qu'elles sont en accord avec tous nos principes »dit Gabriel d'une voix qu'il voulait assurée.

« Je souhaite et je pense que la princesse Susan sera d'accord avec moi, que vous reconnaissiez son titre de championne du tournoi lorsque nous retournerons au banquet. Nous souhaitons plusieurs choses concernant notre éventuelle union : nous voulons apprendre à nous connaître et ce pendant au moins trois mois. Durant ce laps de temps, si les souverains des Cornouailles sont d'accord, je me rendrais dans leur royaume pour mieux connaître leur us et coutumes. Cependant, si au bout des trois mois, aucun parti ne consent au mariage, celui-ci est annulé. A ces conditions, doivent s'ajouter la conservation du droit de passage entre Camelot et les Cornouailles, ainsi que l'assurance d'une alliance même en cas d'annulation des épousailles ».

Gabriel avait parlé d'une voix forte et discontinue, craignant d'être interrompu. Il consentit à reprendre son souffle et regarda enfin ses interlocuteurs. Les deux hommes avaient une expression interdite dans le visage. Arthur le dévisageait comme s’il le rencontrait pour la première fois. Gelhard se leva, ne parla pas mais s'avança vers sa fille qui recula instinctivement.

Cependant, il n'eut aucun geste agressif mais la prit dans ses bras et la serra tout contre son cœur. Susan en fut bouleversée et étreignit également son père.

« Je constate que vous avez déjà pensé à tout » dit Arthur.

« Nous tenons à nos royaumes, nous savons quels sont nos responsabilités mais nous ne pouvons-nous résigner à un mariage malheureux » répondit Gabriel.

« Je comprends votre position. J'étais moi-même dans ce cas-là lorsqu'on m'a imposé mon mariage ».

« Je croyais que mère et vous n'aviez rien dit ».

« Susan, ma chérie, pourquoi crois-tu que tu sois si obstinée, si têtue ? Ta mère et moi avons tempêté, avons essayé de dissuader nos pères mais rien n'y a fait et nous avons été obligés de nous marier. Nous nous sommes aimés dès le premier regard et ce fut notre chance. Si vraiment tu es malheureuse, je ne t'obligerai à rien. Je constate aussi que votre accord est bien ficelé ».

« Je propose que nous rediscutions ensemble de tout cela demain. Ce soir est u jour de fête et nous avions un champion a acclamé ».

« Vous n'êtes pas fâchés contre nous ? » demanda Gabriel.

« Surpris, agréablement surpris, décontenancés, assurément et fiers aussi, mais fâchés non » répondit Gelhard.

« Tu es bel et bien un Pendragon, cousin » ajouta simplement Arthur à l'attention de Gabriel.

Eléanor termina de ranger les appartements de la princesse Susan. Elle se rendit à nouveau dans les cuisines. Une effervescence palpable avait envahi le château. L'ambiance du tournoi perdurait encore et encore. Tout le monde était à la fête. Eléanor et ses amies prirent les plateaux contenant les entrées et elles s'engagèrent dans la salle de réception. Les conversations continuaient d'aller bon train. Eléanor déposa son plateau sur la table des souverains. Elle évitait de regarder Godefroy mais celui-ci faisait tout pour accrocher son regard. On entendit soudain un bruit de métal fracasser le sol suivit de quelques grossièretés.  Les invités se turent.

« Ne peux-tu pas faire attention, petite sotte ?!  As-tu une idée du prix de cette tenue ? Bien sûr que non, tu n'es qu'une servante ! » beugla un courtisan.

La servante qui avait lâché la carafe de vin était pétrifiée de honte et les larmes lui montaient dangereusement aux yeux.

« Je vous prie de m'excuser Monseigneur, je me chargerai moi-même de nettoyer vos habits » répondit la jeune femme.

« Crois bien que si tu étais à mon service, tu serais punie à la hauteur de ton forfait ! Si u es aussi maladroite avec une carafe, mes habits me reviendront tel des haillons ! »

« Cela suffit Monseigneur ».

L'assistance qui était présente tourna la tête vers l'homme qui avait parlé d'une voix forte.

« De quoi vous mêlez-vous Prince Godefroy ? Vous n'avez aucun pouvoir ici ».

« Il a en plus que vous Seigneur Bohorte et il est l'invité du roi Arthur. Veuillez montrer un peu plus de respect » riposta la princesse Lisa. 

« C'est ainsi que vous traitez vos courtisans ? Du temps d'Uther, cela ne serait jamais arrivé ».

« Cette jeune femme s'est excusée. Vous n'avez nullement besoin de l'humilier davantage. Ce n'est que du vin, vos habits pourront être nettoyés sans aucun dommage. Eléanor, pouvez-vous accompagner votre amie prendre l'air ? » demanda Godefroy.

« Monseigneur, allez-vous changer et revenez-nous sous votre meilleur jour. Mes amis, ne nous laissons pas abattre par cet incident. Que la fête continue » dit Lisa à son tour.

Le seigneur Bohorte se leva et se dirigea vers ses appartements en maugréant. Eléanor s'empressa d'accompagner son amie hors de la salle et loin de ce courtisan impoli. Elle pleurait craignant d'être renvoyée mais Eléanor lui assura le contraire et promit d'en parler avec la princesse Lisa. Eléanor prit le service de son amie en plus du sien tandis que celle-ci alla proposer son aide dans les cuisines. Elle s'apprêtait à retourner travailler quand elle vit Godefroy s'approcher d'elle.

« Monseigneur, permettez-moi de vous remercier d'avoir pris la défense de Mina. Vous n'y étiez pas obligé ».

« Comment va-t-elle ? »

« Elle a peur de se faire renvoyer. Je parlerai à la princesse Lisa, je sais qu'elle a bon cœur et qu’elle est indulgente ».

« Je le crois aussi. Je lui parlerai également ».

« Vous vous êtes fait un ennemi sachez le » reprit Eléanor.

« Je n'ai pas la prétention d'être aimé de tous. Ce seigneur n'avait pas à parler ainsi. La naissance ne fait pas tout, un homme doit prouver sa valeur qu'il soit humble paysan ou grand seigneur ».

« Vous êtes un chevalier peu commun, prince Godefroy ».

« Me feriez-vous un compliment ? »

« Je fais seulement un constat ». dit Eléanor en souriant.

Godefroy en fut très surpris. La jeune femme était belle quand elle était en colère mais quand elle souriait, la terre semblait s'arrêter de tourner tant elle était magnifique. Il devait se reprendre, dire quelque chose, essayer de ne pas paraître idiot.

« Que diriez-vous d'une balade à cheval après le festin ? »

«  Si quelqu'un vous voit en compagnie d'une servante, votre réputation risque d'être entachée ».

« Je leur répondrais que je suis en compagnie d'une amie » rétorqua Godefroy.

Eléanor ne dit rien dans un premier temps, elle se contenta de soutenir le regard du prince. Elle dit enfin :

« C'est d'accord. Rejoignez-moi à la lisière du bois ».

Elle n'attendit pas la réponse et retourna s'occuper des invités. Godefroy ne retourna pas tout de suite dans la salle de réception. Son cœur battait trop fort, trop vite. Il le sentait taper dans ses veines, dans ses tempes.  Il réfléchissait encore quand Arthur, Gelhard, Gabriel et Susan s'approchèrent. Les regards étaient graves mais fiers. Godefroy interrogea Arthur du regard mais il comprit que ses interrogations seraient vite dissipées. Ils rejoignirent tous les cinq le banquet. Les invités se levèrent quand ils les virent entrer. Ils prirent place à la table d'honneur.

 « Mes amis, aujourd'hui est un jour heureux. Nous célébrons l'amitié des Cornouailles et de Camelot. Nous renouvelons une alliance ancienne et forte. Les Cornouailles ont prouvé leur valeur lors du tournoi et c'est un de leurs chevaliers qui l'a emporté. Vous le savez, l'honneur est pour moi un gage de valeur. Tout homme qui s'est se montrer courageux et fidèle à ses principes est un grand homme. Aujourd'hui, notre champion a prouvé sa valeur et nous a fait honneur à tous. Levez-vous tous et levons nos verres pour acclamer le vainqueur du tournoi ».

Tous les invités se levèrent et brandirent leur verre, impatients de connaître l'identité du chevalier. C'est Gelhard qui prit la parole. Sa voix était claire et forte mais on percevait de l'émotion.

« C'est pour moi un privilège de vous annoncer l'identité du vainqueur à la fois en tant que roi des Cornouailles mais aussi en tant que père. Je suis fier ma fille que tu aies remporté ce tournoi ».

Les applaudissements attendus ne vinrent pas : tous étaient bouche bée et bientôt des murmures s'élevèrent de la foule suivis par des clameurs indignées. Elles furent très vote dissipées par la prise de parole de la princesse Susan.

« Je comprends votre colère et votre désapprobation. J'ai menti pour participer mais j'ai combattu sans tricher, sans recevoir de l'aide de quiconque lors de la mêlée. Vous m'avez applaudie et acclamée en pensant que j'étais un homme mais vous avez aussi applaudi ma bravoure et mon courage. Pourquoi sous prétexte que je suis une femme, ma bravoure en serait changée ? Je voulais prouver ma valeur. Je pensais que si je gagnais le tournoi, on reconnaîtrait ma valeur ».

«Rien ne stipulait que le tournoi était interdit aux femmes. Je suis fier d'avoir combattu face à la princesse Susan ».

« Je suis fier également d'avoir pu admirer les prouesses techniques de la princesse Susan » intervint Godefroy

« Je le suis également. Je vous ai promis une époque de changements. La Princesse Susan a simplement anticipé mes envies. Je vous en prie mes amis : saluons le courage de cette jeune femme et de nos valeureux chevaliers, qu'ils soient de Camelot ou des Cornouailles » reprit à son tour Arthur.

Les plaidoyers avaient manifestement convaincu car les murmures de désapprobations laissèrent la place à des applaudissements, des cris de joie et des félicitations sincères. La Reine Ellayne qui n'avait rien dit jusqu'à présent se leva et vint prendre sa fille dans ses bras.

« Je savais que tu étais têtue et fière, mais je n'aurais jamais pensé que la prévision de ce mariage te rendait si malheureuse. Je suis désolée de ne pas avoir vu cela avant. Sauras-tu me pardonner ? »

« Oh Mère, bien sûr que je le peux : j'ai compris aujourd'hui l'importance de cette alliance et celle de mon devoir. Je pense que je pourrais réussir à concilier mes envies personnelles et mes obligations envers le royaume ».

Les musiciens avaient commencé à jouer en attendant que les autres plats ne soient servis. L'ambiance était à nouveau joyeuse.

« Majesté, me permettrez-vous de vous emprunter votre fille le temps d'une danse ? »

« Bien sûr, Gabriel. Nous parlerons tout à l'heure, ma chérie. Je suis fière d'être ta mère, sache-le ».

« Je suis fière d'être votre fille ».

Susan prit la main de Gabriel et les deux jeunes gens se mirent à danser au rythme des musiques de troubadours. Quelque chose avait changé comme si tout leur semblait possible à présent, comme un si un avenir sans nuage se présentait à eux.

« Lisa, as-tu vu Godefroy, j'aimerai lui parler ».

« Il vient de partir, je le crains et je pense qu'il ne rentrera pas tout de suite ».

« Que veux-tu dire ? »

« Eléanor est venue me demander congé quelques minutes avant que Godefroy ne quitte la pièce. Leur attitude l'un envers l'autre est étrange et je soupçonne que notre ami est succombé au charme de notre chère Eléanor ».

« Je vois. Cette journée est vraiment remplie de beaucoup de surprises. Allons danser cousine, il n'y a pas de raison que nous ne nous amusions pas aussi ».

« Je suis tout à fait d'accord ».

Et tandis que le château était le témoin d'un bonheur retrouvé, la Lune voyait partir deux cavaliers au galop unis par un même désir de liberté. 

Commentaires

01.05.2017 06:31

Julie

Eleanor me fait penser à toi. J'imagine qu'elle va s'imposer dans le royaume en tant que femme de pouvoir. Quelle ne laissera personne lui dire ce qu'elle doit faire ou être. Bravo

01.05.2017 06:29

Julie

Vivement la suite ! Forcément on s'attend à une belle histoire d'amour ou d'amitié pour Eleanor et Arthur.